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Aramis
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"Vert" de July Empty "Vert" de July

Mer 28 Avr - 14:22
Amy regardait la lampe qui pendait au plafond. L’ampoule grésillante, sur le point d’éclater, les papillons de nuit qui venaient s’écraser contre la chaleur électrique, les taches de saleté sur l’abat-jour. Il faudrait vraiment la nettoyer pensait-elle.
Son mari, assis à la table, fixait son assiette d’un regard absent. Manifestement, il n’était pas emballé par son contenu. La tête posée sur la main, il s’occupait à trier les aliments, ou du moins un certain type d’aliments : de sa fourchette, il poussait les petits pois, un à un, sur le côté, ponctuant chaque action du mot « vert » qui tombait dans la pièce comme un couperet.
Il en était au troisième et Amy sentait déjà monter en elle l’irritation. Vert, vert, vert… C’est bon, elle avait compris ! Cette mélodie, cette boucle sans fin, la rendait folle ; mais elle ne disait rien. À la place, elle posa un verre d’eau devant son mari et tendit l’oreille. Les pleurs du bébé bondissaient dans l’escalier et venaient résonner dans la cuisine avec une implacable régularité. Une telle répétition dans la façon de s’exprimer devait certainement être un héritage génétique de son cher paternel.
Elle laissa son mari à son interminable monologue et partit rejoindre son enfant. Le reste de la maison n’était guère plus engageant que la cuisine, aussi ressentait-elle constamment un sentiment d’oppression ; où qu’elle aille. La lampe du couloir éclairait les murs délabrés à la peinture écaillée de couleur verdâtre. Elle se posta devant l’escalier en bois et la peur l’envahit : l’enfer l’attendait en haut. Respirant un bon coup, elle monta, lentement, insensible aux grincements des marches et à la rambarde rugueuse qui lui râpait les mains. Les cris se faisaient de plus en plus nets, de plus en plus proches ; elle en avait la nausée.
Elle avança, tremblante, jusqu’à la porte ouverte de la chambre du bébé et entra. Le berceau blanc détonnait dans cette pièce lugubre et lui rappelait d’autant mieux que son contenu était censé avoir un caractère sacré. Le mobile pendait paresseusement et la veilleuse éclairait faiblement la chambre, donnant presque l’impression que l’humidité n’avait pas rongé chaque mur de son appétit féroce.
Pourtant, c’était l’endroit où Amy se sentait le plus mal à l’aise. Elle aurait préféré être n’importe où – y compris dans la cuisine à écouter son mari – plutôt que dans cette pièce. Mais elle n’avait pas le choix, le bébé avait dû sentir sa présence car ses cris avaient doublé de volume et d’intensité, la pressant de réagir.
À contrecœur, elle se pencha au-dessus du berceau et saisit le bébé, le berçant, ou plutôt l’agitant contre elle avec une grimace dégoûtée. Elle fit le tour de la pièce, essayant d’oublier cette désagréable présence sur son corps en le plongeant dans le mouvement. Malheureusement, la pièce exigüe n’était pas faite pour les promenades, mais elle continua, encore et encore, espérant que ce tour de manège le plus ennuyeux du monde suffirait à étouffer ces affreux sanglots. Elle baissait les yeux chaque fois qu’elle passait devant la fenêtre, trop terrifiée à l’idée de rencontrer son reflet, et surtout celui du bébé. Bien que condamnée à l’aide de planches, cette fenêtre était l’objet de tous ses fantasmes : elle espérait que quelqu’un rentre et vienne enlever cet être rose et hurlant. Mais personne n’était jamais venu.
Les sanglots s’apaisèrent et son enfant retrouva une respiration plus calme, plus régulière ; Amy en fut soulagée. Malgré son dégoût évident, elle se força à faire quelques tours supplémentaires, histoire de bien endormir la bête. Elle se refusait à l’appeler par son nom, elle ne souvenait même plus si elle lui en avait donné un. Elle l’appelait simplement, le bébé ; ou la Chose.
Après ces quelques tours de piste, elle jugea que le bébé était suffisamment apaisé pour être remis dans son berceau, et ce fut avec un soulagement évident qu’elle le déposa sur la couverture immaculée, avant de sortir précipitamment.
Elle ne s’autorisa à respirer qu’après être arrivée en bas de l’escalier. Elle était désormais tranquille ; jusqu’à la prochaine fois. Elle revint dans la cuisine, son mari était toujours attablé et poussait les deux derniers petits pois en lançant sa réplique favorite. Puis, sans un mot, il se leva et sortit de la pièce, la laissant seule.
Elle enfila des gants de caoutchouc et se mit à faire frénétiquement la vaisselle, laissant son esprit vagabonder hors de ces murs et se perdre dans les bulles de l’évier. Elle était plongée dans la contemplation de l’eau saumâtre lorsqu’elle entendit quelqu’un frapper à la porte.
Elle s’y dirigea et l’ouvrit. Une jolie jeune femme, d’une vingtaine d’années se tenait sur le palier, le sourire franc et la coiffure impeccable.
— Bonjour Amy, j’ai entendu du bruit. Tout va bien ?
Amy hocha la tête. C’était Phoebe, la voisine.
— Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à m’appeler.
De nouveau, Amy hocha la tête et lui sourit faiblement avant de refermer la porte. La jeune fille passait souvent, pour voir si tout allait bien, s’ils avaient besoin de quelque chose. Sa fraîcheur et sa beauté rayonnaient dans cet endroit si sordide, elle était la gentillesse et la douceur incarnée. Amy la détestait.
La pendule de l’entrée sonna et la jeune femme se sentit soudainement fatiguée. Montant à l’étage à pas feutrés, craignant de réveiller la Chose, elle se dirigea vers la chambre et se coucha directement. Seule et épuisée.
Elle se réveilla quelques heures plus tard, les yeux grands ouverts et l’oreille aux aguets. Etonnant ce que le silence peut être relatif dans une maison ; c’est bien simple, il n’existe pas. La jeune femme pouvait entendre le craquement du bois se gonflant d’humidité et de moisissure, les cliquetis de minuscules pattes d’insectes qui avaient colonisé plinthes et parquet, le ploc d’une goutte tombant d’un robinet mal fermé et s’écrasant contre la faïence. Tous ces bruits faisaient partie de son paysage sonore, ils en étaient même devenus apaisants. Mais ils ne masquaient pas ce bruit, étouffé mais bien distinct provenant de la chambre de la Chose. Cette respiration, si ténue mais néanmoins audible, un peu sifflante telle un serpent.
Depuis qu’elle était rentrée chez elle avec le bébé, Amy passait de longues minutes, concentrée sur cette respiration, tellement régulière qu’elle pouvait imaginer sa cage thoracique monter et descendre en un cycle ininterrompu. Comme elle aurait aimé que ce cycle se brise !
Tout d’un coup, la respiration cessa. Amy ferma les yeux, essayant de se noyer dans l’obscurité et l’indifférence la plus totale ; le bébé avait compris que sa mère le surveillait et il fomentait quelque chose. Elle le savait.
Amy attendit quelques instants, remontant la couverture sous son menton, espérant que cet insignifiant morceau de tissu la protègerait. Elle entendit un bruit de bois que l’on racle et un bruit sourd de chute. Puis ce furent le frottement d’une étoffe et le choc régulier contre le sol, comme celle d’un exercice militaire : la Chose rampait vers elle. La jeune femme se mit à paniquer mais refusa obstinément d’ouvrir les yeux, tellement tendue qu’elle agrippait les draps à s’en faire mal. Elle sursauta et le silence revint.
Une porte avait claqué. Elle ne pouvait dire où mais des pas résonnèrent et l’escalier craqua sous le poids de son mari. Et, pour la première fois, elle sentit une bouffée d’amour et de gratitude envers lui.
Elle finit par s’endormir plus ou moins par hasard et se réveilla de la même manière. Après avoir avalé un petit-déjeuner inconsistant et servi la même chose à son mari, elle fit sa toilette puis tenta de se calmer. L’heure approchait, celle qu’elle redoutait le plus : le repas de bébé.
Elle attrapa une chaise et monta vers la chambre, y mettant autant d’entrain que si elle gravissait les marches d’un échafaud. Elle installa la chaise dans la pièce puis se dirigea vers le berceau. Le bébé avait les yeux grands ouverts. Il était parfaitement éveillé et la regardait, ou plutôt la fixait. Il fit un sourire en la voyant, mais ce n’était pas une risette d’enfant, c’était un sourire maléfique, de ceux qui s’affichent lorsqu’une idée tordue se profile à l’horizon.
Tremblante, Amy se saisit du bébé et alla s’installer sur la chaise, sentant le regard de la Chose peser sur elle et analyser le moindre de ses mouvements. Elle ouvrit sa blouse, dégrafa son soutien-gorge et, sans oser le regarder, positionna le bébé. Elle grimaça au contact de sa bouche gluante et retint un cri de dégoût, puis le laissa se nourrir en essayant de ne pas y penser.
Autant dire qu’il ne pouvait y avoir torture plus détestable pour elle. Mais les médecins avaient insisté sur le pouvoir de l’allaitement et l’avaient vigoureusement conseillé pour qu’elle se « reconnecte à son enfant », pour établir un lien. N’importe quoi. Ce n’étaient pas eux qui devaient subir cette épreuve tous les jours !
Elle décida de se concentrer sur autre chose que ce terrible bruit de succion et laissa son esprit errer dans la pièce, bien trop étroite même en imagination. Enfin, son calvaire s’acheva et elle put remettre le bébé dans son berceau, sans pouvoir éviter les vomissements qu’il étala sur elle ; c’était certainement ce qu’il avait prévu de faire depuis le début.
Après l’avoir bordé, elle s’enfuit de la chambre et partit se réfugier dans la cuisine, se tenant la tête entre les mains pour calmer le sang qui battait brutalement à ses tempes. Qu’allait-elle devenir ? Les médecins – encore eux – lui avaient assuré que les choses s’amélioreraient avec du temps et de la patience. Mais c’était tout le contraire, les choses ne s’amélioraient pas, elles empiraient ; et elle était seule pour y faire face.
Phoebe vint boire le thé avec elle, prenant de ses nouvelles, essayant de la faire parler, de savoir où son mari se trouvait. Pensait-elle réellement qu’Amy ne voyait pas dans son jeu ? La jeune femme en était venue à se méfier de sa voisine, se demandant si elle n’avait pas des vues sur son mari, et même si elle n’entretenait pas une relation avec lui. Aussi Amy regardait-elle d’un œil suspicieux le moindre acte de cette si charmante jeune fille. Comme le fait qu’elle étudie l’appartement d’un œil scrutateur, ou qu’elle s’intéresse de si près à sa vie, ou encore qu’elle regarde d’un œil intrigué la façon qu’Amy avait de récurer vaisselle et meubles avec acharnement. C’était comme si la jeune fille cherchait le moindre défaut pour pouvoir se moquer d’Amy avec son mari, entre deux ébats et une cigarette.
Mais au fond, était-ce si important que son mari la trompe ? Il lui faisait l’effet d’un parfait étranger. Elle ne savait ce qu’il faisait de ses journées, parfois il sortait, parfois il s’enfermait dans son bureau à l’étage. Dans tous les cas, elle ne le revoyait qu’au moment des repas. Il n’était pas bavard et son comportement était une énigme indéchiffrable. Mais c’était ainsi : ils vivaient sous le même toit alors elle pouvait tolérer les cachoteries.
Toutefois, Phoebe ne semblait pas ressentir la méfiance de sa voisine, ou si c’était le cas elle n’en montrait rien. Elle continuait donc de venir tous les jours discuter avec Amy. Comme par hasard, le bébé ne se manifestait jamais dans ces moments-là ; au contraire, il restait incroyablement calme, ne faisant même pas l’affront de tousser ou de pousser le moindre petit sanglot. Mais ce n’était que partie remise. Lorsque Amy se retrouvait seule, il récupérait toutes ses forces et se mettait à hurler, et la jeune femme était bien obligée d’aller le calmer.
Ce jour-ci ne fit pas exception à la règle et à la fin de la journée, elle ne ressentait rien d’autre qu’un profond épuisement, à peine relevé par l’amertume de devoir s’en occuper seule ; encore. Son transparent de mari était seulement réapparu au moment du dîner, triant cette fois-ci les haricots avec sa sempiternelle rengaine : vert, vert, vert. Vert comme les murs humides de leur maison, vert comme les couvertures râpeuses, vert comme son propre reflet dans le miroir. Il dégoulinait de partout, emplissant tout son champ de vision. Le même vert sale et dérangeant qu’elle avait dû subir à l’hôpital durant ses heures interminables de travail. Et pour quoi ? Pour donner vie à cette chose rose et fripée, qui avait voulu sa mort et semblait bien déterminée à aller au bout de ses desseins. Non mais regardez-le, faussement innocent, traîtreusement assoupi, attendant le moment opportun pour attaquer.
Il n’attaqua cependant pas et Amy partit se coucher à moitié soulagée. Cette nuit-là, elle dormit d’une traite, comme assommée.
 
Le lendemain s’inscrivit dans la longue lignée de ses journées mornes et routinières. Passage éclair de son mari au petit-déjeuner, ravitaillement de la Chose, petite entrevue avec Phoebe – ne sentait-elle pas le parfum de son mari dans les cheveux impeccablement coiffés de sa voisine ? - et enfin regarder le temps lui échapper avec la douce musique de l’horloge. Souvent, elle s’adonnait à un nettoyage énergique de son intérieur, bien que ce fût inutile compte tenu de la décrépitude qui régnait en ces lieux. Mais pas ce jour-là.
Ce jour-là, quelque chose planait dans l’air, une menace presque tangible, une alerte. Elle pensa immédiatement au bébé, essayant de passer outre les conseils condescendants des médecins, qui l’avaient pompeusement renseignée avec leur théorie sur le temps et l’habitude. Mais pouvait-elle vraiment s’habituer à cette chose ?
Elle monta prudemment l’escalier, songeant à s’allonger un instant sous l'effet de violents maux de têtes qui vrillaient son crâne. Alors qu’elle arrivait à sa chambre, elle s’arrêta net et recula ; elle n’avait pas rêvé.
Elle regarda dans la chambre de la Chose. Le bébé était debout dans son berceau, ses petites mains roses bien posées sur le rebord : il l’observait. Il ne regardait pas simplement dans sa direction, non, il la fixait elle, proférant sa menace silencieuse de ses deux petits yeux de poupée. Ils restèrent de longues secondes ainsi, immobiles, lui la toisant et elle ne pouvant détourner son regard. Lorsqu’enfin elle trouva la force de bouger, il se mit à hurler et elle n’eut d’autre choix que d’aller vers lui.
Il avait encore faim et elle dut se résoudre à le nourrir une nouvelle fois. Son appétit augmentait énormément et l’allaitement était plus fatigant à chaque fois, plus douloureux aussi. Bientôt elle n’aurait plus assez de forces ; mais c’était probablement ce qu’il voulait.
Elle réussit à se traîner jusqu’à sa chambre après l’opération et tomba dans une sorte de léthargie jusqu’au soir. Au dîner, elle revit son mari qui poussait consciencieusement ses brocolis d’un geste apathique. Amy le regardait, se demandant s’il n’avait pas changé. Portait-il ces vêtements le matin ? N’y avait-il pas un autre parfum sur lui ? Mais pour observer un quelconque changement, il fallait un point de départ, une base de comparaison, et il lui était si inconnu qu’elle ne pouvait se faire d’avis objectif sur la question ; ce qui ne l’empêchait pas de le faire pour autant.
Après que le dernier « vert » fût mollement retombé dans le silence de la pièce et que son mari se fut éclipsé, Amy se mit en devoir de rattraper le temps perdu dans la journée et se lança dans un intense ménage. Pas tant pour nettoyer que pour s’épuiser.
Lorsqu’elle atteignit un point de fatigue convenable, elle passe une dernière fois dans la chambre du bébé et essaya de décoder son visage poupon. Plus aucune ombre ne planait sur ses traits sereins, la menace avait disparu, pourtant elle sentait que quelque chose se tramait.
Elle resta là, à le fixer longuement, avant que l’oppression n’enserre sa poitrine et qu’elle ne soit prise d’une furieuse envie de quitter la pièce. Elle partit directement se coucher, espérant ne pas être réveillée ; son vœu ne fut évidemment pas exaucé. Il devait exister dans l’univers une loi stipulant que lorsque l’on souhaitait ardemment quelque chose, c’était exactement l’inverse qui devait se produire. Une sorte de règle cosmique destinée à mettre un peu de piment dans ce spectacle destiné aux dieux si aisément ennuyés par la facilité ; après tout, un film n’a que peu d’intérêt si l’histoire se déroule comme prévu.
Pourtant, Amy ressentait une légère exaspération à n’être jamais exaucée. Que ce soit pour son sommeil, sa maternité, sa vie. Aussi lorsqu’elle sentit qu’elle émergeait du sommeil, elle fit tous les efforts du monde pour résister et replonger dans la torpeur de ses songes. Sans succès. Ce fut peut-être pour la punir d’avoir résisté que tout autour d’elle sembla décuplé : l’épaisseur de l’obscurité, l’odeur de la moisissure, le bruit.
Elle se redressa sur son lit. Ce bruit… Il venait de la chambre de la Chose mais elle n’arrivait pas à l’identifier. C’était le bruit mou et humide de quelque chose que l’on mastique. Un bruit répugnant, comme lorsque l’on mange un morceau de viande. Elle porta les mains à sa bouche pour s’empêcher de crier, se roula sous les couvertures et se plongea dans une ignorance confortable. Elle ne savait ce que la Chose faisait et elle ne voulait pas le savoir. Elle avait mal à la tête.
Elle ne sut pas vraiment comment elle réussit à sortir de la nuit. Le champ de bataille qui faisait office de lit lui donnait un petit indice mais c’était tout. Elle se traina jusqu’à la cuisine, mais son mari ne donna aucun signe de vie. Etrange, il n’avait pourtant pas quitté l’appartement ; elle en était certaine. Elle attendit encore et se perdit dans la contemplation d’un couteau posé sur la faïence. Elle était fascinée par la lame qui reflétait la lumière en une multitude de traits aveuglants. Cette ligne si fine, si coupante. Qu’il était tentant de le prendre et…
Un craquement la sortit de sa rêverie. Elle s’attendait à voir son mari entrer mais personne ne se montra. Non pas qu’elle fut pressée de le voir, mais il était tellement ponctuel, tellement précis dans ses habitudes que le moindre changement avait de quoi alarmer.
Inquiète, elle se saisit du couteau et sortit. Les chaussures de son mari étaient là, bien rangées à côté de l’escalier, il était donc dans la maison. Elle monta à l’étage, lentement, sentant la peur s’insinuer dans son corps à chaque pas. Elle entra dans la chambre du bébé et sentit immédiatement que quelque chose n’allait pas. Tout en elle lui ordonnait de faire demi-tour et de s’enfuir mais à la place, elle s’approcha du landau.
Le bébé dormait paisiblement, la bouche rouge et les draps couverts de sang. Mais était-il réellement endormi ? Aucun mouvement ne semblait l’habiter. Et il y avait ce sang, tout ce sang. D’où venait-il ? Elle sentit alors le mal de tête la gagner, trop de questions l’envahirent d’un coup, elle en venait même à se demander ce qu’elle faisait dans cette chambre avec ce couteau à la main. Elle avait envie de vomir. Soudain la Chose ouvrit les yeux, la regarda et se mit à crier.
Amy fonça vers la porte et dévala les escaliers, essayant de ne pas entendre les hurlements stridents de la Chose. Une fois en bas, elle tomba nez à nez avec Phoebe qui était entrée, probablement alertée par le bruit. Elle essaya de retenir Amy, mais cette dernière battit l’air de ses mains et la lame dessina une longue estafilade sur la joue de sa voisine. Une fois dégagée, la jeune femme fonça vers la porte puis l’ouvrit.
La lumière éclatante l’aveugla et elle dut porter un bras à ses yeux pour se protéger. Elle entendit une voix devant elle :
— Amy ! Amy !
Elle baissa le bras. Phoebe la regardait, mais quelque chose clochait.
— Alors Amy, on a encore fait une crise ?
Il n’y avait aucune ironie dans sa voix, juste une douce bienveillance, comme si elle s’adressait à un enfant.
— Le… Mon mari, mon bébé… Où sont-ils ?
— Oh… – Phoebe marqua une pause – Tu ne te rappelles pas ? – ajouta-t-elle à la fois étonnée et soucieuse.
Elle tourna la tête, dévoilant une cicatrice sur la joue et avisa deux infirmiers. Elle leur adressa un signe de tête en les regardant d’un air entendu et ils s’approchèrent. L’un deux donna un gobelet en plastique à la jeune femme qui le tendit à Amy.
— Tiens, tu vas prendre ça en plus aujourd’hui. Tu vas voir, tu vas te sentir plus calme.
Amy la regarda, incrédule. Elle se retourna : à la place de son entrée, un long couloir au sol vert s’allongeait au loin. Elle n’eut pas le temps d’en voir davantage car les deux infirmiers vinrent boucher son champ de vision.
Phoebe la saisit par le coude et lui fit lentement faire demi-tour. Elle lui désigna plusieurs places dans ce qui ressemblait à un grand réfectoire où de nombreuses personnes vêtues de blouses couleur olive étaient attablées. Elle-même en portait une. Mais depuis quand ? Pourquoi était-elle vêtue de la sorte ? Elle regarda de nouveau le réfectoire. Certaines personnes semblaient plongées dans une profonde apathie, d’autres étaient en proie à une agitation plus ou moins intense. Des infirmiers en uniformes blancs circulaient dans la pièce et ramenaient le calme si besoin.
Amy s’avança dans la salle, complètement perdue. Certains pensionnaires la saluèrent comme s’ils la connaissaient depuis toujours mais elle ne leur répondit pas ; elle ne les connaissait pas. Ou peut-être que si ? Elle partit s’asseoir en face d’une personne et un infirmier vint poser un plateau devant elle. Elle redressa la tête et regarda son voisin de face, déjà en train de manger :
— Vert – lança-t-il tout d’un coup.
Et il poussa un petit pois sur le côté de l’assiette.









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