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Aramis
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"La vie n'est qu'une illusion" de Sarah Costes Empty "La vie n'est qu'une illusion" de Sarah Costes

Lun 3 Mai - 18:07
Journal de l'homme
18 mars,


     Le bébé pleure. Je crois que c'est une fille. A travers la sueur et la fatigue, le visage de la maman rayonne. Le peau à peau de la mère et du nourrisson apaise les cris de ce dernier. Aucune trace du père ou de tout autre individu, à l'exception des infirmiers et de la sage-femme.
     Mes yeux ne sont que le regard extérieur de la scène. Je ne peux pas interagir. Comme le narrateur externe d'un cauchemar. Impuissant. Mais bien présent.
     Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je ne connais pas ces personnes. Cette vie ne m'appartient pas. Ces souvenirs ne sont pas les miens. Pourtant, ces images, dans ma tête, sonnent tellement vraies. Comme une révélation. Le reflet de la vérité.
     Mes pensées défilent. A une telle vitesse que je n'arrive plus à discerner la moindre idée censée de mon esprit.
     Puis, plus rien. La fatigue me submerge, mais je me sens à nouveau bien. Comme si rien ne s'était produit.
     Je regarde ma montre. 11h11. Je dois partir travailler.

 
Tour de contrôle secondaire
18 mars


     Le n°1812 émit son premier signal. L'écran afficha un trait orange au 18 mars. Ce n'était que la première alerte. Aucune inquiétude à avoir. Pour le moment.
     Seul signal du jour. L'homme pouvait repartir à ses occupations.

 
Journal de l'homme
14 avril,


     Elle court, sautille dans le jardin. Une future athlète. Son rire se propage jusqu'aux lèvres de sa mère qui sourit à son tour. Cette petite doit avoir quatre ans. Peut-être cinq. Le regard protecteur de sa mère la suit à la trace. Je ne sais pas qui elles sont, mais j'ai la certitude qu'elles sont heureuses. Cette vision me réchauffe le cœur. Cela semble si réel. Et pourtant si lointain.
     Je n'ai pas de fille, pas d'enfant. Pourtant, j'ai le sentiment d'avoir vécu ce que je vois. Une impression de déjà-vu.
     Dois-je les retrouver ? Les protéger ?
     La vision s'évapore dans un tourbillon de ténèbres. Aussi vite qu'elle est apparue.
     Qu'est-ce-qui ne va pas chez moi ?
     Je jette un œil sur l'écran qui reflète l'heure. 11h11. Encore. Cela me paraît trop singulier pour être une coïncidence.
 
 
Tour de contrôle secondaire
14 avril, 11h11.


     Le n°1812 venait de promulguer son second signal. Vingt-sept jours s'étaient écoulés entre les deux memories. Il n'y avait donc pas de quoi s'alarmer.

 
Journal de l'homme
26 mai, 11h10


     La caméra est en place. Comme chaque jour, même heure. Le chronomètre est prêt. Selon mes prévisions, il ne reste qu'une seule minute. Je m'assois et j'entends. La minute me paraît interminable.
     Ma vue commence à se troubler. J'actionne le chronomètre.
     Un homme roule à moto. Il semble serein, mais pensif. Les traits de son visage, à travers son casque, marquent la fatigue que l'homme a accumulé durant les derniers jours. D'un coup, un bus, vide, apparaît, à toute vitesse, sans s'arrêter au panneau stop. Il ne fit qu'une bouchée de la moto, projetant l'homme à plusieurs mètres de l'intersection. Le néant. Le bus continua sa route. L'homme rendit son dernier soupir.
     La vision me quitta sur un sursaut effroyable. J'appuie sur le chronomètre, déjà présent dans ma main. 59 secondes. 11h11. Je le savais ! Je ne suis pas fou !
     Néanmoins, ce que je viens de voir me glace le sang. Ce n'était pas un accident. C'est évident. Mais qui était cet homme sur la moto ? Et quel lien a-t-il avec la mère et sa fille ?
     J'ai visionné la vidéo. Je ne vois rien d'anormal dans mon attitude. Je suis assis, et j'attends. Sans rien faire. Banal.
     Mais je veux savoir ce qui m'arrive. Je sais bien que le web ne va pas me donner les réponses à mes questions, mais cela peut me donner quelques pistes. Les forums vont certainement m'annoncer que je vais succomber dans quelques jours d'une maladie grave parce que j'ai un grain de beauté sur le poignet, mais tant pis, je tente le coup.
     Sur le forum "Prenez garde à l'heure miroir 11H11" j'ai pu lire des centaines de commentaires dont le plus partagé est "Si vous tomber trois jour de suite sur l'heur mirroir, vous mourrez le jour suivant". Tiens, cela semble très crédible. Sur un autre site, un article annonce que "cela prédit de grands changements, et qu'une découverte ou une annonce cruciale va bouleverser le destin de la personne". Mais un témoignage interpelle davantage mon attention.
     « Je m'appelle Evan. Je m'appelle Lou, ou bien Tom, comme vous le souhaitez. Cela fait maintenant 34 jours exactement que chaque semaine, à la même heure, des représentations confuses de moi-même dans d'autres corps, surgissent. Comme un cauchemar éveillé. Et je ne contrôle rien. Mais je le sais. Je le sens. C'est moi ».
     Son profil se nomme "11h11". Son expérience semble tellement similaire à la mienne. Cependant je ne trouve aucune autre trace de cet internaute.
 
 
Tour de contrôle secondaire
26 mai, 11h11.


     Un signal sonore retentit une troisième fois pour le n°1812. L'alerte rouge se déclencha. Il était temps de prévenir la tour de contrôle centrale.



Tour de contrôle centrale
26 mai, 11h22.


     La tour de contrôle centrale fut averti immédiatement du cas 1812 un poil rebelle. L'alerte générale fut lancée à toutes les tours de contrôle. A partir de la troisième alerte, laisser cette âme en liberté devenait trop dangereux. Ils ne voulaient pas prendre ce risque.
     Le n°1812 fut ainsi placé sous surveillance confidentielle. Ses moindres faits et gestes étaient désormais sous le contrôle du gouvernement. Observer, espionner, tracer, pister. Sa vie privée violée pour la sécurité de tous.

 
Journal de l'homme
27 mai,


     C'est étrange. Aujourd'hui, j'ai vu un bus, vide. Le bus. Comme celui de ma vision. J'en suis certain. C'est étrange.



30 mai,


     J'ai demandé à une amie de pirater le compte de ce fameux "11h11". Elle a pu trouver son adresse mail afin que je puisse lui envoyer un message. C'était ma seule option, je ne savais pas quoi faire d'autre. Mon amie n'a pas posé de questions, et je lui en suis reconnaissant. Je lui fais confiance, mais je ne lui ai pas partagé mes visions, mes recherches, mes doutes. Je ne veux pas l'impliquer davantage.
     Dans mon message, je lui dis que j'ai besoin d'aide. Je ne détaille pas, au cas où l'on surveillerait ma boîte mail. Je ne veux pas l'effrayer, mais je veux que cette personne comprenne que l'on est pas si différent elle et moi.



31 mai,


     "11h11" m'a répondu. Il m'a donné une adresse, celle d'un parc, suivie de l'heure.
     J'ai ainsi pu le rencontrer en fin de journée. C'est une dame. Je pense qu'elle a environ l'âge de ma mère. Elle était méfiante mais plutôt chaleureuse. Je crois qu'elle avait besoin de parler à une personne qui pouvait comprendre ce qu'elle ressentait. Cette personne, c'était moi.
     Si je voulais obtenir des réponses, je n'avais pas d'autres choix que de lui raconter mes visions, de lui faire confiance. C'était un risque que j'étais prêt à prendre. Pour la vérité. Puis, avec elle, c'était différent. J'avais l'impression que je pouvais tout lui dire. Mon intuition sembla se confirmer.
     En effet, elle me raconta l'histoire cachée derrière ce post. Elle m'expliqua que son fils, alors âgé de 21 ans, parlait de ses visions, à ses amis, sa famille, des fois sur les médias sociaux. Mais personne ne le croyait. Puis, plus le temps passait, plus les gens autour de lui commençait à le prendre pour un garçon dérangé, atteint d'une maladie mentale. Et lui, commençait à son tour à croire qu'il devenait fou. Ses visions étaient de plus en plus fréquentes, et de plus en plus tragique. Son fils lui avait même reporté que des gens le suivait à son université. Il en était certain. Le lendemain, il fut retrouvé sur la chaussée, étalé sur le sol. Son visage défiguré, il ne respirait plus. Ce n'était pas un accident. Elle n'avait pas de doute. Je n'en n'eus pas non plus. J'avais la sensation de vivre son souvenir par procuration.
     Lorsque la dame eut fini son monologue, je ne sus quoi répondre. De longues minutes de silence s'écoulèrent. Cette femme m'intriguait.
     Puis, elle me révéla que ce soit disant fils, c'était elle. Dans une autre vie. Et que mes propres visions, c'était moi. Dans une autre vie.
     J'étais toujours abasourdi par ses révélations lorsqu'elle m'expliqua que dans cette vie aussi, elle avait des visions et que des gens étaient à la recherche de ces personnes-là. Des personnes comme nous. Elle me déclara qu'elle était toujours vivante car elle arrivait à contrôler ses visions, ce qui empêchait le gouvernement de la poursuivre. Toutefois, elle ne sut m'expliquer comment elle les maîtrisait. C'était inné.
     Après sa mort dans le corps de ce garçon, elle me précisa qu'elle n'eut plus jamais fait l'erreur de révéler ses visions à quiconque qui n'était pas comme elle. Car personne ne l'aurait cru. Comme auparavant. Mais je n'arrivais pas à comprendre pourquoi elle s'était confiée à moi, un étranger s'introduisant dans sa vie. Elle me répondit qu'elle sentait ce lien entre nous. Ce lien, c'était nos visions.



2 juin, 11h11


     La p'tite fille est devenue une femme. Elle est sur le chemin de l'université, ses écouteurs dans les oreilles. La musique semble l'apaiser. Elle tourne à droite, dans la ruelle. Un simple raccourci, pour gagner du temps. Un homme, celui qui la suivait depuis le début du trajet, s'approcha d'elle. Il lui donna un coup rapide derrière la nuque, puis s'en alla. Une violente douleur au niveau des vertèbres cervicales surgit. Puis, des raideurs musculaires, un flou visuel, des vertiges, et un déséquilibre vers l'arrière. Elle chuta. C'était désormais la fin pour la jeune femme.

 
Tour de contrôle centrale
2 juin, 11h11.


     Le cas 1812 avait encore récidivé. S'en était trop pour le gouverneur. Il avait déjà assez donné.
     Le responsable de la tour centrale communiqua un dernier appel :
« A toutes les tours de contrôle. L'âme n°1812, placée sous surveillance depuis sept jours doit impérativement être prise en charge. Vous avez 22 heures et tous les moyens nécessaires pour neutraliser la cible. Vous savez ce vous avez à faire ».
     L'alarme lancée par la tour centrale circulait à présent dans toutes les tours secondaires. En supplément, comme après chaque alerte émise, le rapport confidentiel du gouvernement était diffusé dans toutes les oreillettes des agents. Il était impératif de se remémorer les règles, et de leur rappeler leur mission.
     « Il y a près de deux siècles, le trop grand nombre de personnes sur l'oasis fut dévastateur, et mena à sa perte. La population devait agir. Au plus vite.
     Les leaders mirent alors en place un quota de personnes afin de sauver leur lieu de vie et surtout l'humanité. Mais cela ne suffisait pas ; les gens continuaient de procréer et de réduire l'oasis en cendre.
     Ces mêmes leaders commencèrent alors des expériences sur les populations les moins essentielles. Suite à cela, la population fut réduite à un nombre suffisant : c'est la population-mère. Leurs âmes furent écartées de leur corps et ne meurent jamais. Elles sont immortelles.
     Ainsi, depuis deux siècles, la population-mère demeure la même. Intacte. Les mêmes âmes habitèrent l'oasis encore et encore ; et aucun être ne pouvait procréer tant qu'une âme n'était pas libre.
     Dès qu'un être s'éteint, l'âme prend alors l'apparence d'un nouveau corps. Et les souvenirs de son ancienne vie perdurent effacés. A tout jamais. Les leaders craignant un soulèvement de la population, le secret resta gardé pour toujours. Ainsi, seuls les leaders avaient la fonction de se rappeler afin de ne jamais oublier leur rôle au sein de l'oasis : assurer la survie des populations et de leur lieu de vie.
     Toutefois, au cours des années qui suivirent ces effacements de souvenirs, certaines âmes gardèrent en elles des memories, c'est-à-dire des souvenirs de leurs anciennes vies, chacun relayé à la même heure, tel un message crucial. Mais cela posait problème pour la survie du peuple et de l'oasis. Ce dernier n'aurait pas survécu à un second scandale d'une telle ampleur.
     C'est pourquoi, il fallait agir et s'occuper des âmes rebelles. Les leaders savaient quelles étaient leurs missions et n'ont jamais renoncé à leur destinée.
     A présent, tel est votre chemin chers compatriotes ».

 
Journal de l'homme
2 juin, 22h22


     Aujourd'hui, j'avais cette mauvaise intuition d'avoir été suivi toute la journée. Je ne sais pas ce que l'on attend de moi, ce que l'on veut de moi. Mais je sens que ma vie est sur le point de m'échapper.
     Je n'ai pas voulu me cacher chez des proches ou bien chez la dame que j'ai rencontrée il y a trois jours. Je ne veux pas les mettre en danger.
     Mais si nous sommes surveillés, alors peut-être bien que des puces localisables sont introduites dans notre chair et que je vais rapidement en faire les frais. Peut-être que je ne peux pas échapper à mon destin.

 
Tour de contrôle centrale
3 juin, 6h10.


     Les agents contactèrent la tour pour rendre compte de leur mission : "L'âme n°1812 a été écartée. Je répète le cas 1812 a été écarté".
     La tour centrale passa un message à tous les agents et tours secondaires pour les prévenir de leur accomplissement : "La cible est neutralisée. Mission réussie. Bon travail compatriotes. Vous pouvez l'emporter au laboratoire".

 
Laboratoire des âmes
3 juin, 11h11.


     L'âme 1812 fut ainsi transportée jusqu'au laboratoire des âmes. C'était la décision des leaders.
     Cette âme avait causé trop de dégâts et avait pris trop d'énergie au gouvernement. Ses memories récurrents lui coutèrent la vie. En effet, lorsque le taux de memories atteint les 45%, l'âme est définitivement effacée de l'oasis.
     Le cas 1812 a dépassé la barre des 60%. Ses memories revenaient pratiquement à chacune de ses vies. L'âme 1812 fut ainsi éradiquée à tout jamais. Les âmes sont programmées pour ne plus se souvenir.

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