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Aramis
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"La cible" de Hervé Bosser Empty "La cible" de Hervé Bosser

Mar 27 Avr - 9:51
  Cela faisait une heure que John cherchait, aidé par l'écran-carte lui permettant d’orienter son déplacement. A première vue, en cette fin d'après-midi estivale, on pouvait se demander ce qui motivait cet homme à arpenter un champ. Il était vêtu d'un short, un t-shirt, une casquette safari et utilisait un curieux équipement.
  Au fil du temps, cette occupation, distraction du week-end était devenu une authentique passion. Et ce passionné ressentait toujours la même excitation quand le détecteur de métaux localisait une cible en émettant une alerte dans les écouteurs.
  John marqua le pas et procéda à un centrage restreint. Le son émis dans le casque était subtil, ce qui signifiait que la cible était soit enterrée profond, soit faiblement émettrice. Le bras tenant l'appareil produisait un mouvement latéral très lent, prenant soin de maintenir à l'horizontale le disque de détection sur une surface de plus en plus raccourcie ; dans les écouteurs l'alarme devenait presque constante.
  L'écran digital procédait par discrimination - repérage du type de métal - pour classer le signal reçu quand subitement il s’éteint.
  ─ Et merde!
  En appuyant sur le bouton de mise en marche, l'écran demeurait noir, et les écouteurs n’émettaient plus aucun son.
  ─ Ça c'est bien ma veine alors!
  Sans quitter des yeux la surface qu'il venait de détecter, John se défit de son appareil et le posa parterre. Puis il ôta son sac à dos et s'agenouilla.
  Malgré un mois d’Août plutôt sec, le sol n'était pas dur car il avait été labouré deux semaines auparavant en préparation d'un lit de semence de blé pour l'automne.
  L'homme sortit un couteau de son fourreau et commença à couper un cube de terre autour de la cible. La lame s’enfonçait sans problème jusqu'au manche. Il ôta la motte friable, divisant, émiettant soigneusement cette dernière à la main.
*

  Une semaine auparavant, il avait récupéré une alliance perdue dans le jardin de ses voisins. Pendant que la gamine de ces derniers l'accompagnait dans ses recherches, peignant l'herbe avec un râteau, la femme éplorée regardait sans trop y croire cet hurluberlu inspectant son terrain avec une étrange machine. Une incrédulité aussi forte que la joie ressentie quand il mit la main sur la bague, après cinquante minutes d'investigation, le détecteur en mode fast, réactivité poussé à 4.    
 Pendant une vingtaine d'années, John avait prospecté par plaisir, non par ambition. C'était son truc, comme d'autres font du tennis ou du golf. Mais depuis qu'il était en retraite, les jours où il restait chez lui étaient rares. Sa femme acceptait la situation, bien qu'elle eût l'impression  
de vivre avec un chercheur d'or. Pour autant le mythe de l'eldorado ressemblait souvent à un eldorado des mites, la terre étant comparable à une poubelle enfermant tout et n'importe quoi. Plus que la découverte, c'était la sensation de remonter le temps qui faisait vibrer le retraité. Il cherchait aussi bien dans les bois, les forêts, les chemins et sentiers que dans les champs. Il lui arrivait également de partir quelques jours d'affilée au bord de la mer, surtout après les vacances estivales. Outre les innombrables déchets métalliques, cet insatiable explorateur récupérait des cartouches de chasse, des balles de fusil, des canettes, des pièces de monnaie, des objets hétéroclites tels fers à cheval, boucles d'attelage, dés à coudre, boutons de vêtements, ustensiles de cuisine… Ses plus belles prises étant des sceaux, napoléons en or, médailles militaires, sans oublier de nombreuses bagues et gourmettes. Considérant que ces trouvailles avaient une âme, il les nettoyait consciencieusement avant de les entreposer dans une vitrine. Hormis les explosifs bien sûr... Non sans frayeur, en vingt ans il avait découvert quelques obus et grenades signalés à la gendarmerie afin de les faire neutraliser. Une fois, sa femme s'était énervée, lui disant que ça finirait tôt ou tard par lui péter à la gueule, que fouiller le passé revenait d'une certaine façon à remuer la merde.
  Mais aujourd'hui c'était différent.  
  Sans pouvoir l'expliquer, John était persuadé qu'en dessous de lui ne gisait pas la pépite de cinq kilos dont rêve tout chercheur d'or, ni le trésor d'une civilisation engloutie, mais autre chose lui donnant encore plus la frousse qu'un obus attendant la lumière du jour pour exploser. Néanmoins, une petite voix, fût-ce un appel venu des ténèbres, lui intimait de creuser.
  Alors il creusa.
*

  Il continua à fouiller le sol minutieusement, couche par couche. Dépassant le labour superficiel  nécessaire à la culture du blé, il avait délaissé le couteau pour une truelle triangulaire. Si l'objet était enterré profondément, cela pourrait lui prendre beaucoup de temps. Peut-être même qu'il ne le trouverait pas. Tout dépendait de la taille. De toute façon, le détecteur de métaux étant HS - il avait tenté de le réutiliser, ôtant puis réinstallant la batterie - à présent, il ne lui restait plus qu'à opérer au petit bonheur la chance.
  Il sortit une brosse de son sac à dos pour nettoyer quelques cailloux minuscules, ainsi qu'un tamis pour s'assurer qu'aucun objet ne lui échappe. A environ quarante centimètres de déblayage, la truelle cogna sur une aspérité. Une pierre? Il passa le doigt sur la petite surface carrée, percevant un relief sous la fine couche de terre. Au même moment il remarqua que sa main tremblait. Tentant de se rassurer, il frotta délicatement l'objet avec un pinceau. A la lumière du jour cela ne faisait aucun doute : de l'or! Peut-être une chevalière, avec des armoiries gravées.
  John saisit l'objet dépassant du sol entre le pouce et l'index. Il tira, sans succès… toujours ce fichu tremblement, ou bien était-ce ce bijou qui lui opposait une résistance?
  Un ver de terre pointa son nez en se tortillant, s'enroulant autour de ses doigts. La sensation gluante lui donna des frissons. De dégoût il enleva la main du trou et se redressa. Instinctivement, il regarda autour de lui, comme s'il allait surprendre quelqu'un en train de le surveiller.
  ─ N'importe quoi mon vieux! dit-il à haute voix. T'es au beau milieu d'un champ paumé dans la campagne et il n'y a personne à part toi et les oiseaux!  
 En effet, le champ aussi étendu que deux terrains de foot était désert à perte de vue. Aucun mouvement de vie aux alentours, pas même un bruit lointain de tracteur.
*

  Cela se passa très vite : tel un archéologue à genoux et procédant à une fouille, il s’apprêtait à dégager l'espace autour de la chevalière quand la terre se mit à remuer, formant des entonnoirs. Son pressentiment fut qu'un mille-pattes, voire un scolopendre, ou pourquoi pas une colonie de scarabées dérangés dans leur sommeil, allaient sortir au grand air.
  La chevalière commença à se soulever toute seule, découvrant l'anneau entourant un bout… de bois? De doigt! Un doigt, une phalange... remuant… puis une autre, et encore une… puis une main, un squelette de main sortant de terre! Sans compter la bonne moitié du radius et du cubitus.
  La chevalière glissa à la base de l'index comme ce jeu où les enfants lancent des anneaux sur un bâton à la verticale. Puis la main squelettique adressa un doigt d'honneur, tourna légèrement sur elle-même, avant de serrer le poignet du l'homme ahuri avec la fermeté de griffes neutralisant une proie.
   ─ Aïïïïïeeeeee !
  Forçant sur ses genoux, tirant sur ses reins, prenant appui sur son autre bras, John ne parvint pas à sa défaire de l'étau. Il continua à hurler pendant de longues minutes.
  Un corbeau répondit à son appel puis disparut dans le ciel, semblable à une tache de mazout
se diluant dans l'océan.
  Paniqué, le malheureux se saisit de la truelle et commença à frapper le membre squelettique. La pression de la chevalière sur le poignet lui faisait un mal de chien. Il s'acharna à ce point que l'un des coups loupa son but, provoquant une entaille profonde au niveau de son avant-bras. Le sang se mit à couler abondamment, noircissant la terre avant de s’infiltrer dans ses entrailles.
  Un instant, John pensa pratiquer un point de compression de l'artère humérale. Il avait répété ces gestes lors d'une formation aux premiers secours. Mais réussirait-il à les reproduire efficacement? Et puis, de la sorte ne réduisait-il pas son champ d'action? Agir! Il fallait agir, et vite! Il détourna le regard de ce trou où la paluche squelettique rouge de son propre sang continuait à lui broyer le poignet.
  Instinctivement, il glissa sa main libre dans le sac à dos afin de récupérer la trousse à pharmacie.
  ─ Bordel de merde! Je vais crever d'une hémorragie!
  L'estropié s'y reprit à plusieurs reprises pour ouvrir la fermeture éclair. Enfin, il sortit une bande de crêpe en coton et la déroula sur le sol à côté du couteau dont la lame brillait au soleil. L'idée de se couper le bras pour s'enfuir lui fouetta l'esprit. Le dessein morbide d'une telle perspective l'effraya à ce point qu'il faillit vomir.
  Un bout de la bande serré entre les dents, John l'enroula autour de son biceps, redoutant qu'une autre griffe sorte de terre, à moins qu'un squelette entier ne l'engloutît comme si ce jour funeste fût celui de son enterrement. Telle une autruche, il baissa la tête pour faire un garrot en tirant avec ses mâchoires d'un côté, sa main libre de l'autre. La vision rapprochée des phalanges ensanglantés et la chevalière qui le fixait comme un œil le terrifièrent. La sueur lui brûlait les yeux, son oreille droite sifflait. Il inspira un bon coup par le nez, se forçant à serrer les mâchoires comme un chien tenant rageusement un fémur de bœuf dans sa gueule.
  Attaque ! lui ordonna une voix intérieure. Mords le squelette ! Imaginant le bruit, et surtout la sensation répugnante des os craquant sous ses dents, le goût infect de la moelle fétide glissant dans sa gorge pâteuse, John ferma les yeux et serra le garrot le plus fort possible. Puis il se redressa.
*

  Il vida le reste du sac à dos parterre. Un pull-over, un poncho, un insecticide aérosol, des barres de céréales, une seringue aspi-venin, une bouteille d'eau, une pelle de secours, une lampe torche et ce qu'il cherchait : une scie d'élagage. Il n'utilisait cette dernière que rarement. Pour se tailler un chemin dans les bois, suivre la piste des ébats de ceux qui s’aiment et parfois sèment. Cette scie était une bénédiction. Après avoir ôté l'étui de protection, il l’empoigna avec la foi d'un légiste pratiquant sa première autopsie et dirigea la lame vers le membre squelettique. La préhension de cette main qui le retenait était aussi puissante que l'appréhension omniprésente de défaillir. Et l’œil du bijou maudit qui continuait à le fixer!
  John n'était pas médecin, et encore moins un de ces charognards employé d'une morgue. Aussi, dans l'urgence il commença à couper sans réfléchir. De ce fait, il tomba sur ce qu'il convient d'appeler un os, en l’occurrence le scaphoïde sur lequel la lame de la scie buta, se tordant avant de se rompre d'un coup sec.  
  ─ Saloperie de carcasse!
  De rage, il se saisit de la lampe torche et frappa comme un forcené. La vitre en verre de la Maglite explosa sous la force des coups, la tête se détacha et tomba dans le trou en libérant les piles de leur compartiment.
*

  Espérant que quelqu'un l'entende, le désespéré gueula pendant dix minutes jusqu'à s’essouffler. Une heure de marche le séparait de l'endroit où il avait garé sa voiture, près d'une petite chapelle perdue dans la campagne. Départ d'un chemin creux qui bordait un ruisseau sur un bon kilomètre. Pour autant il ne souvenait pas avoir vu de pêcheurs. Et encore moins des promeneurs sur les sentiers et champs alentours. Quant aux éventuels chasseurs, ils privilégiaient les sous-bois plus à l'Ouest.  
  Tu dois garder ton calme et contenir tes forces ! Tu dois garder ton calme et contenir tes forces !
   Refusant de se laisser gouverner par peur, John se répétait mentalement la phrase en boucle. Dans une posture inconfortable, ankylosé, il essayait de détendre son corps. Le garrot autour du biceps tenait bon, c'était déjà ça, mais il provoquait un engourdissement, des fourmillements dans le bras. La main squelettique ne lâchait pas sa proie, le radius et le cubitus sortant du sol comme deux racines coriaces.
  L'infortuné devait trouver une solution pour sortir de cette ornière maléfique. Trouver! Lui, le chercheur! Mais quoi? Creuser plus profondément afin de déterrer le squelette vivant? Et si l'ignoble créature le prenait par les cheveux, l’entraînait avec elle sous terre, l'engloutissant comme dans des sables mouvants? En admettant qu'il parvînt à l'exhumer, cette dépense d'énergie pour jouer un remake de Jason et les argonautes ne tournerait pas forcément en sa faveur. Si seulement il avait gardé son téléphone portable sur lui! De peur d'éventuelles interférences avec son appareil de détection, il le laissait toujours dans sa voiture. De toute façon, même s'il avait pu appeler les secours, comment leur expliquer? Tout s'était passé si vite! Il n'avait pas eu le temps de s'arrêter rationnellement sur ce qu'il était en train de vivre tant la terreur et la souffrance mêlées l'avaient happé. Plus qu'une aberration, cette situation tragique était une folie. Digne d'un film de science-fiction où une chose surgit de la mousse du lavabo et saisit le bras de madame en train de faire la vaisselle. John ne croyait pas à ces histoires de bestioles venues de l'espace ou je ne sais d'où. Quant aux fantômes et aux morts-vivants… Mais force était de constater qu'aujourd'hui une main défaite depuis des lustres de sa carne putréfiée le retenait. Pas celle d'un zombie ou d'un vampire, non. Un squelette vivant. Enterré juste en dessous de lui.
   ─ Espèce d'enfoiré de salopard! Sors de ton trou que l'on s'explique entre hommes!
  En guise de réponse, l'étau se resserra. Tel un foret de perceuse qui s'enfonce comme dans du beurre, l'anneau de la chevalière lamina les chairs, taraudant les os du poignet.
  ─ Aïïïïïeeeeee!
  La douleur paroxystique provoqua un début de syncope. Des bourdonnement insupportables dans la boite crânienne, des étoiles entamant une danse macabre devant les yeux. Une sensation terrible d’oppression dans la poitrine, comme si la cage thoracique fût sur le point de se déchirer pour libérer le cœur détraqué.    
 John respira un bon coup tout en remuant la tête pour chasser d'invisibles abeilles butinant ses oreilles. La vue lui revint, et en prime une authentique révélation. Si forte qu'il se mit à jubiler, lâchant même quelques cris de victoire. Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt? Dans la poche avant de son sac à dos, il prévoyait toujours un paquet de cigarettes et un briquet. Non pas qu'il fût un grand fumeur, mais d'ordinaire il prenait toujours le temps de s'en griller une pendant sa sortie. Il trouvait un coin tranquille pour grignoter une barre de céréales, boire un coup de flotte et enfin fumer sa clope en méditant sur ses trouvailles du jour.
  Il récupéra une fiole d'alcool à 70° dans la trousse de secours et la vida sur le pull-over et le poncho. Au moment où il alluma le feu, il pria pour quelqu'un voit la fumée et se mit à crier à nouveau. Le soleil déclinait, mais avec un peu de chance un de ces pêcheurs de carpes qui souvent s'installaient en amont du cours d'eau à la nuit tombée l'entendrait.
*

  Rien. Un silence de mort. John pouvait bien continuer à crier, le vent très faible ne portait pas ses cris. Quant aux signaux de fumée, c'était peine perdue. A présent, les vêtements cramés lâchaient quelques fumerolles. Et personne - que ce soit un hypothétique promeneur du soir ou un de ces vététistes qui arpentent la campagne - ne lui viendrait plus en aide. Il était attaché à la main d'un mort-vivant qui le menottait, point final.
  Il remua la tête de droite à gauche en soupirant. A nouveau, son attention fut attirée par le couteau. C'était un modèle des commandos, muni d'une lame à double tranchant redoutable.
  Vas-y, coupe-toi le bras ! Sinon t'es foutu !
  La ritournelle de sa voix intérieure revenait à la charge, lui ordonnant l'impensable. Guidée par quelque force obscure, sa main libre se saisit de l'arme, disposée à trancher dans le vif afin d'assouvir une pulsion sanglante libératrice. Dans un dernier sursaut, une étincelle de lucidité, John se débarrassa malgré lui du couteau en le jetant le plus loin possible.  
  ─ Merde! hurla t-il, regrettant son geste sur-le-champ.
  Ce champ maudit où il allait mourir. Vu qu'il ne disposait plus de vêtements pour se réchauffer, le froid commencerait d'abord par le mordre. Affaibli, il s'en remettrait sans doute à Dieu. Ou alors, à l’image de ces soldats fauchés par une balle sur le champ de bataille, il pleurerait sa mère. Avant de sentir la mort en train de roder se rapprocher de lui inexorablement. La Dame en noir viendrait le soulager définitivement de sa mauvaise posture, et ce n'était qu'une question d'heures avant que le voile de la nuit ne recouvre ses dernières espérances.
  Dépité, John sortit une cigarette du paquet et l'alluma. La dernière, celle du condamné. D'ici peu, le garrot qu'il avait resserré par deux fois provoquerait une gangrène, et il déplora à nouveau de ne pas s'être amputé le bras. Dans la situation présente, il risquait une nécrose. Lors de son initiation aux premiers secours, le formateur leur avait parlé de ça. Un garrot trop longtemps en place produit une libération de toxines dans l’organisme, d'où une réponse inflammatoire aiguë fatale. La septicémie annonçant l'arrêt cardiaque.  
  La fragrance des volutes de tabac blond l’enveloppant, la nicotine lui procura néanmoins une douce euphorie. Instinctivement, il tira une longue et dernière bouffée puis appliqua la cigarette sur
la main squelettique.
  ─ Tiens, cadeau connard!
  Il écrasa la cigarette lentement, la tournant minutieusement sur elle-même, la ratatinant jusqu'au mégot sur une des phalanges.
  Cette fois-ci, ce ne fut pas un étau mais une presse hydraulique qui lui broya le poignet dans un bruit d'os qui se rompt.
  ─ Ahhhhhhh!
  Par réflexe, il essaya encore d'échapper à la main squelettique diabolique, tirant de toutes ses forces. Une fraction de seconde, il ne sentit même plus son bras, comme si la douleur exacerbée jouât le rôle d'anesthésiant, au point de se demander si toute cette histoire n'était pas un mauvais rêve.
  Oui, c'est juste un cauchemar, mais je vais bientôt me réveiller et... il fit une syncope.
*

  Il se réveilla recroquevillé sur le côté, genoux pliés vers le centre du corps. Position fœtale avant la condamnation fatale. Le crépuscule bien avancé, tout juste distinguait-on l’extrémité du bras disparaissant dans le trou immonde.
  Revenant à lui, le prisonnier se remit à genoux puis il se pencha pour défier le mauvais œil de la chevalière. Non! Il n'allait pas crever à petit feu. La partie n'était pas encore finie. Il disposait d'un ultime coup de poker pour récupérer la main.
  ─ J'ai une surprise pour toi!
 Il fouilla dans la poche arrière de son short. Une fois récupérée la photocopie du plan de la région - in situ, il notait scrupuleusement les endroits qu'il fouillait avant de les répertorier à son retour sur un original - il la déchira malhabilement en plusieurs morceaux qu'il éparpilla dans le trou.
  Volontairement, il se laissa retomber sur le côté, histoire de laisser un maximum d'air s'engouffrer dans la cavité. Puis il récupéra le briquet et mit le feu aux papiers. Enfin, quand il sentit les flammes brûler son bras cadenassé, il vida la bombe d'insecticide aérosol...
*

  ─ Nom de Dieu! T'as entendu ça?
  Fusil cassé sur le bras, les deux types qui marchaient sur le sentier à l'autre extrémité du champ rejoignaient un groupe de chasseurs de sangliers en vue d'une battue nocturne. La détonation qu'ils venaient d’entendre ne ressemblait pas à un tir d'arme à feu, plutôt une sorte de bruit de pneu qui éclate. Suivi de hurlements sauvages.
 ─ Viens, allons voir ce qu'il se passe. Vite.    
  L'homme était allongé sur le sol, grièvement brûlé au visage et aux membres supérieurs. L'odeur de chair rôtie était insoutenable, la peau rougeâtre laissait ressortir des cloques noircies par endroits.  L'explosion avait arrachée une partie de la main du bras gauche de la victime. Quand à l'autre bras il était entouré d'un bandage gorgé de sang.
  Des bouts de chairs, des affaires étalées ça et là témoignaient de la violence de l'explosion.
  A proximité du corps, un trou. Rien qu'un trou profond d'une quarantaine de centimètres.
 
  Pendant qu'un des types appelait les secours, l'autre prodiguait les premiers soins. A l'aide de sa ceinture, il commença à remplacer le garrot.
  John n’arrivait pas à ouvrir entièrement les paupières. Il distinguait deux formes qui s’activaient autour de lui.
   ─ Je… je … l'ai… fumé le salaud! balbutia t-il.
  Sur ces mots, il perdit connaissance. Au même moment la main s'ouvrit et laissa rouler la chevalière sur la terre.
  Il était comme ça John. Quand il partait en détection et localisait une cible, il ne revenait jamais bredouille. Même en matière de loisirs, certains hommes ont des principes.


FRançoiseGRDR aime ce message

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"La cible" de Hervé Bosser Empty Re: "La cible" de Hervé Bosser

Sam 29 Mai - 12:21
Merci, je me suis bien marré en vous lisant; en respectant votre postulat, je me suis pris au jeu!
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