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Aramis
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"Minuit" d'Héloïse Chapperon Empty "Minuit" d'Héloïse Chapperon

Lun 10 Mai - 17:39
           Il était minuit sur le monde. Il était minuit sur le monde mais il était insomniaque depuis longtemps. Il marchait à pas lourd sur la terre brûlée. Il aurait été bien incapable de se dire où est-ce qu’il se trouvait. Sur une petite planète jadis bleue. Tous les paysages qu’il avait parcouru étaient identiques. Les plantes étaient mortes et les étendues d’eau asséchées. Le bruit de ses pas était assourdissant. Le silence était tout ce qu’il restait. Le feu avait terminé de brûler depuis longtemps. Il n’y avait plus rien pour l’alimenter. La vie avait disparu. Il n’y avait plus que lui, le dernier homme sur la terre, qui arpentait inlassablement l’ancien territoire de l’humanité. Et ses forces commençaient à décliner. Le ciel était jaune. Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il l’avait vu bleu. Il ne se raccrochait plus au temps qui passait. Les dates qu’il répétait semblaient appartenir à un autre monde. Peut-être que c’était le cas. Il avait arrêté de compter les jours quand il avait réalisé qu’il ne restait plus que lui. Tout avait été si progressif que l’humanité n’avait pas eu l’air de se rendre compte de ce qu’il passait. D’abord la météo s’était déréglée. Ensuite les pandémies s’étaient multipliées. Les animaux s’étaient mis à disparaître, même ceux qu’on protégeait. Puis ce fut au tour des enfants. Il n’y avait presque plus de naissances. Les adultes se faisaient la guerre. Et un jour  il n’y eut plus personne. Le jardin d’Éden était devenu un désert aride, vide de vie.
            Et il y avait lui. Il ne savait pas pourquoi il avait survécu. Son masque à gaz filtrait l’air en crachotant. Il s’était demandé beaucoup de fois pourquoi lui et pas quelqu’un d’autre. Il n’était pas particulièrement fort ou intelligent. Il était humain et c’était peut-être juste pour ça. Mais en fait, lui ou un autre, ça ne faisait aucune différence. L’humanité s’éteindrait après lui. On ne sauve pas une espèce avec un seul individu. Mais il avait pensé qu’il aurait pu transmettre le savoir de sa civilisation à la suivante. Cette pensée était peut-être la plus futile qu’il n’avait jamais eu. Pourtant il n’arrivait pas à ce dire qu’elle n’était pas légitime. Qui ne voudrait pas qu’on se souvienne de sa vie, de ses actes et de ses combats ? Mais il ne transmettrait son savoir à personne. Il allait mourir comme les autres, ici, sur cette terre dévastée. Il avait quitté la grotte où il s’était réfugié quand il avait aperçu pour la première fois la comète dans le ciel. Le manque d’eau lui avait d’abord fait espéré qu’on venait le chercher pour le sauver. Mais les jours passant, il avait été devenu évident qu’un énorme morceau de roche incandescente fonçait droit sur lui. Il avait alors rassemblé le peu qu’il possédait pour aller accueillir la comète.
            L’humanité avait semblé accepter la chaleur qui s’emparait de la Terre progressivement. Il se disait que si ses ancêtres avaient voulu empêcher la marche lente de la fin du monde, ils l’auraient fait. À une époque, rien ne semblait impossible à ces machines de chair et de sang qui se terraient dans leurs grands châteaux en verre et en acier. Il avait vu des images dans des livres. Il avait vu les courbes tracées par des experts et consultées par des hommes politiques qui pensaient avoir du temps devant eux encore. Lui n’avait pas connu tout ça. Ça s’était passé avant sa naissance. Il avait vu le jour dans un monde en train de sombrer. Pourtant personne n’avait jamais parlé de la fin des temps comme quelque chose qui pourrait vraiment arriver. C’était un cauchemar vers lequel on se précipitait. Une fin inexorable et terrifiante. Mais on serait mort avant d’avoir vraiment peur. C’était vrai. Ils étaient tous morts. Et la fin des temps arrivait. Il serait seul pour lui faire face.
            C’était pour aujourd’hui. Sa peau était devenue rouge et dure. Il était déjà brûlé sur presque tout le corps. Il s’arrêta, lâcha son bâton de marche et son sac à dos et se retourna. Il fit face au ciel et écarta les bras. Deux larmes coulèrent sur ses joues. Les dernières gouttes d’eau de la terre. Il avait peur de disparaître tout à coup. C’était devenu trop réel. La lumière de la comète l’obligeait à fermer les yeux. C’était ça la couleur de la mort ? La couleur de la fin ? Il était le dernier homme sur terre. Après lui, ce serait terminé. Il était le dernier à pouvoir se souvenir de milliers d’années de civilisations et de vies. Après lui, tout ce que l’humanité avait accompli sombrerait dans les limbes froides de l’oubli. Tous les crimes, les massacres, les avancées technologiques et les protestations. Toutes les fois où les minorités s’étaient rebellées contre les majorités. Toutes les fois où les majorités avaient exterminé les minorités. Les progrès et les régressions, tout disparaîtrait avec lui. Il était la mémoire de l’humanité et bientôt, il n’y aurait plus personne pour se souvenir.
            Mais peut-être que c’était dans l’ordre des choses. Il était persuadé à présent qu’il n’y avait aucune vie après la mort, et que quand il serait tombé, son corps pourrirait lentement. Si la comète ne faisait pas plus de dégâts qu’il ne l’avait estimé. Ses os deviendraient de la poussière qui nourrirait la terre. Peut-être que ce terreau donnerait naissance à de nouvelles espèces, de nouvelles civilisations, qui observerait ce que les hommes avaient laissé derrière eux sans comprendre. Il leur devait bien ça, au nom de l’humanité qui avait massacré la chair même de la planète où ils vivaient. Il était persuadé qu’il n’y avait aucune vie après la mort. Si ses ancêtres, ses frères, ses sœurs, tous ceux qui l’avaient abandonné seul ici le voyaient, pourquoi ne faisaient-ils rien ? Pourquoi est-ce que l’humanité n’avait jamais essayé de réparer le mal qu’elle avait fait ? Parce qu’elle n’était qu’une poussière dans le cosmos, maintenue en place par une minuscule étincelle de vie. Une fois que les dieux avaient soufflé sur la flamme, plus rien n’empêchait la poussière de partir dériver dans l’univers. Une coquille vide, sans émotion, sans peur et sans conviction, qui verra plus de chose que lui, le dernier homme, ne peut qu’imaginer.
            Il disparaîtrait donc. Tout ce qu’il avait accompli aurait été vain. Toute l’évolution du monde avait été vaine. Il disparaîtrait comme toute l’humanité avait disparu avant lui. Comme les animaux et comme la vie avaient disparu. Il était minuit sur le monde. Il était minuit sur le monde mais la lumière était aveuglante comme en plein jour. Il ne dormait pas. Il n’était pas prêt mais aurait-il pu l’être un jour ? Il était minuit sur le monde. L’horloge s’arrêta sur cette seconde parfaite. Il n’y eut pas de bruit d’explosion. Le vide était un abyme de silence. Il était minuit et le monde n’existait plus.






Héloïse Chapperon : https://www.instagram.com/la_taniere_du_hobbit/
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