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Aramis
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"New-Héra" de Michael B. Empty "New-Héra" de Michael B.

Lun 10 Mai - 17:33
Je n'oublierai jamais le jour où le monde s’est brisé. C’était l’été, le soleil se couchait enfin, et il faisait chaud et sec malgré le vent. Mon coloc s'apprêtait à s’envoyer en l’air sur le canapé de l’appart avec son plan-cul.
Faites comme chez vous, m’énervais-je à chaque fois que je le voyais faire son affaire sous mon nez. Connard.
Un paquet de clopes dans la poche de mon blouson DOOM, et un fond de bouteille dans la main, je quittai l’appart en rogne. Deux sachets remplis, pesés, et prêts à être consommés à l’arrière de mon jean, je descendis l'escalier du vieil immeuble en terminant mon alcool.
Je portais mon style décontracté. Ma copine l’adorait et me forçait souvent à le porter. Elle parlait de mannequinat et de cinéma ; il n’y avait qu’elle pour aimer ma sale tête.
Elle me manquerait presque… m'effleura l’esprit avant que je ne le balaye d’un soupir.
Je ne l'avais pas remarqué en sortant de l'immeuble, juste avant que ça arrive, mais l’air était électrique. Ou électrostatique ? Aucune idée. Les lampadaires clignotaient comme des guirlandes de Noël.
— Bonsoir, je saluai le policier en habits de civil qui me croisait.
Un signe de la tête, c’est tout ce qu’il pouvait me répondre. Comme si je ne l’avais pas reconnu - avec son parfum de sous-marque et ses cheveux gras -, c’était le même qui tournait dans le quartier le soir pour s’occuper et ne pas rentrer chez lui.
Tant qu'il ne me suit pas.
J’allumai ma clope dans l’angle qui délimitait le quartier du centre-ville, jetai ma bouteille, et m’enfonçai dans le parc - une sorte de pression flottait dans l’air. J’allais à mon rendez-vous avec Jean-Édouard. J-E qu’il aimait se faire appeler - sûrement par honte de son prénom de merde. Entre lui, sa mère banquière, et son maire de père… Quelle belle famille d'emmerdeurs.
Mais qu’est-ce qu’il fout, ce petit con ?
Il attendait au pied d’un arbre. Habillé avec autant de marques que de gel dans les cheveux. Des lunettes de soleil sur le nez en début de soirée.
Sérieusement…
Il pensait pouvoir se cacher dans l’ombre des arbres ? Même avec la peau de mon pote Tony, il n’aurait pas réussi. Je balançai mon mégot pour attirer son attention et m'approchai en jetant un œil autour de moi.
Personne ? Tant mieux.
Je lui laissai le temps d’enlever ses lunettes pour bien admirer sa tête de demeuré et lui choppai le pull, qui valait sûrement plus que mon loyer, pour le soulever contre l’arbre.
— Tu t’es pris pour qui ? je lui demandai sans élever la voix pour ne pas qu’on nous entende. La prochaine fois, viens avec des putains de néons, non ? Recommence et je te refais le portrait. C’est clair ?
— C’est bon, calme toi ! qu’il osa me répondre. Je les ai portées toute la journée, je n’allais pas les balancer.
— Et quoi ? T’avais peur de te décoiffer ?
— J’ai rencard, et déjà en retard. Tu veux l’argent ou pas ?
Prétentieux ! C'était le premier mot qui me venait quand je voyais son petit sourire satisfait. N’empêche qu’il avait raison, j’avais besoin de ces thunes. Je détestais l’idée de faire affaire avec lui - surtout que sa gueule de banquier me donnait une furieuse envie de lui en coller une pour me venger de l’autre connard qui m’avait volé ma copine… Mais il payait bien.
— Je n’ai pas le temps, donc je te fais confiance. Y a intérêt que ce soit de la bonne.
Toujours le bon mot pour être insupportable.
Alors qu’il partait vers sa conne du soir, je comptai mes billets. Je voulais profiter de ce moment de richesse qui glisse sous le doigt. C’est à ce moment-là que je l’ai entendu. Un bruit sec et net qui résonna à travers le ciel. Le même bruit qu’avait fait mon miroir quand j’avais appris pour ma copine. Un message de Steve, un de mes associés, qui l’avait vu avec un plein aux as. Il m’avait envoyé une photo d’eux qui entraient dans un hôtel. Dans la minute qui suivait, mon miroir se brisait. Je levai les yeux. Rien. Des dizaines de nuages recouvraient le ciel encore sans étoiles.
Merde, j’ai perdu le compte.
Je recommençai et l’horloge de la ville sonna un coup, sûrement pour annoncer qu’il était 22 heures, mais s’arrêta juste après. Puis à nouveau ce bruit de fissure. Je levai les yeux pour la seconde fois et je la vis enfin.
— C’est quoi cette merde ? fut ma première réaction.
Je ne l’oublierai jamais. Je la voyais nette. Une immense ligne noire coupait le ciel en deux. La troisième fois fit tellement de bruit que j’en serrai mes poings et mes dents. Un énorme coup de vent qui balaya toutes les feuilles du parc. En observant le ciel, je n’en croyais pas mes yeux. Il était brisé comme du verre, avec des dizaines de lignes qui partaient d’un horizon à l’autre… Comme mon miroir.
 L’horloge n’avait sonné qu’une fois avant de se taire. Le sol se mit à trembler et la terre s’ouvrit de partout, se déformant de haut en bas.
— Oh ! Merde !
Je sortis mon portable et me mis à courir. Sans réfléchir, je le déverrouillai et ouvris mes contacts. Le premier numéro que je voulais composer était celui de ma copine. Je posai mon pouce sur sa photo et d’un mouvement sur l’écran tactile, j’appelai Kevin. Je laissais sonner en fuyant le parc.
Allez ! Magne-toi ! Décroche !
Sans réponse, je passai à Tony. À l’angle du quartier et du centre-ville, le trottoir formait une marche de la hauteur d’une maison. Je décidai de longer ce mur pour rejoindre la rue de chez Tony.
Lui non plus ? Ils foutent quoi ?
Le grondement de la terre soulevait les jardins et dévorait les maisons. De l’autre côté de la ruelle, je vis la ligne noire en former d’autres et découper les nuages. D’ici, je voyais les immeubles du centre-ville, et les gratte-ciels des banques et entreprises. Au-dessus, un nuage frôla la fissure et se mit à tomber du ciel. Une énorme forme blanche qui s’écrasa sur un des immeubles et l’enfonça comme un mégot dans un cendrier. Le sommet pencha, le milieu plia, et tout s’effondra sous son poids. Les fissures se mirent à briller et le ciel tomba sur terre. Le sol grognait, du feu s’en échappait et de la lave remontait la roche. La chaleur brûlait l’herbe et le bois des habitations.
Fait chier ! je hurlai intérieurement en voyant le chemin bloqué par la panique des habitants à peine éveillés. Des cris de partout ; des voitures qui klaxonnaient ; des vitres brisées ; des gens bousculés ; une odeur de fumée ; un vrai chaos s'emparait de la ville. Et maintenant ?
Je pris un raccourci par-dessus un ruisseau afin d’atteindre la maison de Steve et Kevin. De l’autre côté du bois, sans feuilles, ils étaient tous là, les yeux fixés sur ce foutu ciel.
— Hey ! Qu’est-ce vous foutez ?! leur criai-je dessus.
— Nick !
Ils se retournèrent tous en même temps, un vieux sourire cachant leur peur. En plus, ils tremblaient ; une belle bande de bras cassés. Heureusement, il s’agissait de ma bande et je savais comment les aider. Je me rapprochai et leur tapai la main du poing pour les saluer avant de me placer au centre du groupe. Un leader se devait toujours d’être au centre de l’attention et de montrer la bonne attitude.
— On doit se casser de là ! je leur annonçai en contrôlant ma voix. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais je ne tiens pas à le savoir. Barrons-nous avec la voiture de Steve tant qu’on a une route intacte.
— C’est la fin du monde ? s'inquiétait Tony. Steve ! C’est la fin du monde ?
— Non, c’est une Bar-mitzvah. Connard, t’as vu le ciel ?
— On va tous crever… se lamentait Sam. Je vais mourir célibataire…
— Et c’est ça qui te chagrine, gros tas ? lui cracha Kevin.
La peur, il n’y avait rien de pire à l’intérieur d’un groupe. Après des mois à les mettre à l’aise avec notre business, je devais tout recommencer… Ce n'était pas le moment de penser à autre chose. Je les tirai par le col ou le bras pour les rapprocher et resserrer nos rangs. Mes petits soldats perdaient le nord sans directives.
— On se calme ! Fin ou pas, je m’en fous. Il faut qu’on sauve nos fesses de toute cette merde. Steve, sors la voiture du garage. Kevin, cherche des infos sur la situation sur les Réseaux. Tony et Sam, vous venez avec moi, on va dévaliser la maison des frangins. Il nous faut de la bouffe, des médocs, et des armes. D’ailleurs, Steve, tu as toujours la collection de ton père ?
Steve baissa les yeux. Il se renfrogna et hocha de la tête.
— Un sous son lit, cadenassé. Les autres dans la cave, le code, c’est 53-838.
— Bébés, ricana Sam avant de se prendre un coup par Tony. Aïe ! Okay ! C’est bon, je m’occupe de la cave.
Il n’en avait pas l’air, mais Sam savait s’y prendre avec les flingues. Son enfance à la chasse avec sa famille l’avait marqué. Avant que je ne prenne l’arme sous le lit, il avait déjà remonté les siennes et chargé son fusil de chasse.
Dehors, avec trois sacs de nourritures - surtout des conserves et des trucs en sachets - et un de médocs, on était prêts à partir. Par-dessus mon pistolet, dont j’ignorais la marque précise, une boule de lumière me passa sous le nez. Je la ciblai par réflexe. Tony m'empêcha de tirer en attrapant mon bras et la boule s’envola derrière la maison. Elles étaient des dizaines à être sorties de nulle part et à flotter dans le ciel. Petites, elles brillaient d’un blanc étrange.
— C’est quoi cette merde ? grognai-je en rejoignant les autres vers la voiture. Des aliens ? 
— Des âmes ! cria Kevin en ouvrant les bras. C’est l’apocalypse, Nick ! Celle dont parlent les textes sacrés ! C’est forcément ça !
Il ne peut pas être sérieux deux secondes ?
Depuis que je les connaissais, lui et sa mère se prétendaient religieux. Entre la drogue, l’alcool, les filles, et parfois les mecs, il n’était religieux que quand ça l’arrangeait. Je soupirai devant son commentaire et l’ignorai pour me tourner vers Tony. Il n’était pas croyant, mais ses parents l’étaient bien plus que nous tous réunis.
— T’en penses quoi ? lui demandai-je en faisant signe à Kevin de se la boucler.
— C’est la fin du monde… On va tous mourir et nos âmes seront jugées. Oh non, mes parents avaient raison ? Je vais brûler en enfer !
— Comme la majorité… râla Steve en s’appuyant sur la portière de la voiture. Où est le problème ? On allait tous mourir un jour ou l’autre, autant en profiter.
Je n’aimais pas ce sourire qu’il affichait, il me rappelait l’autre petit con. Je me tournai pour ne pas lui en coller une et vit Sam caresser son arme…
Pas un seul pour remonter le niveau…
Elle au moins… Elle aurait pu m’aider à y voir clair. Elle avait toujours le mot juste pour alléger les problèmes.
— Nick ! reprit Kevin avec autant d’énergie que la fois où il avait baisé son amie d’enfance. Écoute-moi ! C’est l’apocalypse ! On passe à une nouvelle ère pour la planète ! Comme avec les dinosaures.
— De quoi tu parles ?
— Laisse tomber ! qu’il s'excitait. Écoute-moi ! Ce sont des âmes ! Le ciel nous tombe sur la tête, l’enfer remonte de sous terre, les âmes restent bloquées entre les deux, et le temps s’est arrêté. Ça veut dire qu'une chose. Tu comprends ?
Le temps ? Je fronçai les sourcils sans lui répondre.
Je sortis mon portable de ma poche et vis l’heure affichée : [22:22]. Je ne comprenais pas son commentaire alors qu’il s’était écoulé plus de vingt minutes depuis mon départ du parc. Je m'apprêtais à lui répondre quand le souvenir me revint…
Je n’ai pas vérifié l’heure en déverrouillant l’écran…
— L’horloge a sonné, non ? je me demandai à voix haute.
— Toutes en même temps, me répondit Kevin en me montrant son fil Twitter qui défilait à une vitesse folle. Toutes à la même heure et à travers le globe ! Un bruit de fissure, une sonnerie, une seconde fissure, et… Bah, ça !
La fin du monde…
— Y a des vidéos de morts qui reviennent à la vie en contact avec les âmes ! ajouta-t-il en cliquant sur une vidéo. Le corps meurt, l’âme en sort, puis une autre entre, et le cadavre revit ! Regarde-moi ça ! Son corps change de forme pour prendre celle de la personne à qui appartenait l’âme ! C’est fou ! Regar…
Un coup de feu retentit. Mon oreille siffla et le corps de Kevin eut un spasme avant de s’effondrer sur le bitume. Du sang gicla. Je vis le corps sans vie de mon pote heurter le sol avant de comprendre ce qu’il s'était passé. La balle avait rasé mon blouson et perforé son crâne. Je me retournai, prêt à tirer sur l’inconnu, avant de voir qu’il s’agissait de Sam. Il tenait son fusil bien droit et l’abaissa pour ne pas qu’on lui tire dessus. L’enfoiré souriait comme un demeuré, les jambes tremblantes.
— Qu’est-ce qui t’as pris ? s’énerva Steve avant moi.
— Fallait bien tester… qu’il marmonnait, ce con.
— Regardez ! s’écria Tony en pointant le corps de Kevin.
C’est pas vrai…
Il avait raison. Comme sur la vidéo, son “âme” quittait son corps. Une boule blanche scintillante, qui aurait pu tenir dans une main, s’envola hors de son cadavre. Steve tenta de l’attraper, mais passa au travers comme dans une brume épaisse, et la boule plongea sur son ancien corps. Un flash blanc le recouvrit et sa voix me glaça le sang.
— HAAA ! Putain, Sam ! s’écria Kevin en revenant d’entre les morts. La prochaine fois, je te découpe en rondelle, enculé !
Tout le monde recula en le voyant se relever. Je pensais à tous ces films d’apocalypse avec des morts, des morts-vivants et des vivants revenus du monde des morts. Je fis un signe à Tony qui posa son fusil sur le crâne de Sam. Je me retournai et plaçai le mien face à Kevin qui se craquait la nuque.
— Tu te sens comment ? Envie de cervelles ?
— Seulement celle du gros tas pour jouer au foot avec…
— C’est du muscle ! Espèce de squelette dépravé !
— La ferme ! m'écriai-je pour calmer ces deux idiots.
Ils avaient beau se connaître depuis le collège, ils n’arrivaient pas à se parler sans s’insulter. À croire que ça les rapprochait… Je laissai Tony gérer Sam et je fis signe à Steve d’être prêt à partir ; les fissures et les habitants se rapprochaient. Je m’approchai de Kevin et passai mon bras autour de sa nuque, le pistolet sur sa tempe.
— Comment tu te sens ? De quoi tu te rappelles ?
— Mec, c’était incroyable ! Plus de corps, plus de sens… Pourtant, j’avais l’impression d’être tellement en vie ! Mais c’est étrange, j’en ai aucun souvenir, juste une sensation.
Il avait l’air incapable de choisir entre en rire ou se morfondre…
— Nick ! reprit-il d’un grand sourire après un bref silence. Tu ne comprends pas ce que ça veut dire ? Si on survit à tout ça, ce n’est pas un business de drogues qu’on peut monter, c’est un putain de culte ! Gourou, slash souverain, on pourrait reconstruire une ville et en devenir les chefs.
Je n'aimais pas l'entendre parler comme ça. Il me donnait envie de croire à ses fantasmes. Avec la fin du monde, l’autre friqué ne serait plus qu’un connard, et si je devenais le chef d’un groupe de survivants, peut-être qu’elle me reviendrait ? Je n’aimais pas l’entendre parler comme ça, mais je le laissai faire.
— Toi à la tête, tu as du charisme et de la voix, tu ferais un bon leader. Avec Tony, je m’occuperais de tout l’aspect religieux et hiérarchique. Steve est doué à la compta, et Sam a toujours eu un don pour l’organisation et les armes. C’est notre chance !
— Il faudrait qu’on puisse survivre à toute cette merde. Tu es trop calme, mec. Et si c'était 2012 ? Il suffit d’échanger les deux derniers chiffres. En plus, ça ressemble à une secte ton truc…
— C’est l’apocalypse ! qu’il répliqua en esquivant mon dernier commentaire. On va forcément mourir. Autant prendre notre pied une dernière fois avant la fin ! Tu ne crois pas ?
Lui et son frère avaient changé avec la mort de leurs parents. Deux beaux-frères qui avaient perdu leur dernière famille… Cela faisait déjà deux ans, mais ils restaient les mêmes ; depuis leur disparition, ils ne prêtaient plus attention à l'échec ou au danger. Deux mecs aussi malins qui n’ont plus rien à perdre, il n’y avait pas grand-chose de plus dangereux. Je hochai la tête pour le faire continuer. Il fallait que je comprenne ce qu’il se passait à l’intérieur de son crâne pour prendre une décision.
Groupe ; culte ; confiance ; renaissance ; pouvoir ; il enchaînait les mots avec une telle vitesse qu’il semblait les avoir écrits à l’avance. Après un résumé clair, il me lança un clin d'œil, bien content de lui et de son idée.
Une bonne idée… je me disais sur le coup en n’imaginant que les bons côtés.
Je fis signe à Tony et Sam de nous rejoindre et les fis entrer dans la voiture. Les lignes blanches dans le ciel éclairaient la route. La couleur du ciel passait de claire à sombre au fil des secondes qui ne défilaient plus sur nos smartphones. [22:22] Restait figé. Une fois dedans, Steve au volant et moi à la place du mort - en espérant qu’elle ne me porterait pas malheur -, je me tournai vers le groupe alors qu’on avançait jusqu’à la route principale.
— Une dernière volonté avant la fin des temps ?
— C’est pas comme si on avait des proches à aller sauver, me répondit Tony en fixant son arme. Ni famille, ni…
— Je vais pas te sauter la cervelle si tu dis le mot “copine”, je lui répliquai en soupirant. Abruti va, c’est du passé.
— Moi, j’ai une demande, reprit Sam alors que la voiture tournait vers la sortie de la ville.
— Tu crois qu’on veut t’entendre après ce que t’as fait ? grogna Steve.
— C’est bon, écoutons-le, répliqua Kevin, bizarrement bien défensif à son égard. On est un groupe. On doit se serrer les coudes si on veut survivre.
— C’est toi qui vois, frangin. C’est pas moi qu’il a tué… Vas-y, Sam.
— J’ai entendu votre plan et je suis pour, mais à une condition. On est un groupe, on doit s’aider et se faire confiance. Alors, je propose de s’aider à réaliser une saloperie qu’on n’osait pas avouer.
— Mais de quoi tu parles putain ?! s’énerva Steve en tournant sec le volant pour prendre l’entrée d'autoroute.
— Vous avez jamais rêvé de voler un truc ? De buter quelqu’un ? De brûler un endroit ? On fait une merde tous ensemble pour tourner la page sur notre ancienne vie et commencer la nouvelle en ayant partagé un moment inavouable.
— À la vie. À la mort… murmura Tony en hochant la tête.
Ils étaient sérieux ? Ils en avaient l’air en tout cas. La fin du monde changeait les gens à ce point ? Ou alors, je n’avais jamais vu à quel point ils étaient cinglés ? Au moins, Steve semblait douter tout autant que moi. Je me tournai vers son frère qui arrêta de froncer les sourcils et me fit signe de la tête. Non pas qu’il approuvait ou qu’il pensait que c’était une bonne idée ; plutôt, qu’on n’avait plus le choix. Il me fit un clin d'œil et leva la main.
— Qui est pour ?
Sam la leva sans attendre et Tony le suivit avec hésitation. J’observai Steve qui se concentrait sur la route. Il jeta un coup d'œil à son frère et leva la main en baissant les yeux sur le pare-chocs de la bagnole.
Quelle connerie… grognai-je en levant la main. Je la baissai et me tournai vers Kevin pour le pointer de mon arme. Assume maintenant.
— On commence par toi. Qu’est-ce que tu veux ?
Il fixa le décor à l’extérieur et posa son coude sur le bord de la fenêtre. Il chercha un instant dans ses photos et nous montra l’image d’une grande maison à deux étages.
— On va brûler le bâtiment qui servait à la secte de ma mère. Je veux lui offrir un feu de joie pour fêter notre nouvelle vie.
Steve se rappela d’où cet endroit se situait et poussa sur l’accélérateur, un sourire en coin face au commentaire de son frère. De mes souvenirs - soit pas grand chose de plus vu qu’ils ne voulaient pas en parler -, la secte avait tué sa mère pour son argent. À toujours demander plus et plus vite, elle avait fini par en mourir d'épuisement et de stress. Le père de Steve l’avait rejointe, s’en voulant de ne pas l’avoir sauvée de ces enfoirés.
La secte se trouvait dans la ville voisine. Les nuages avaient épargné le bâtiment, mais les fissures au sol étaient nombreuses. Il fallait laisser la voiture derrière nous, esquiver un groupe de jeunes qui cassaient tout sur leur passage, puis sauter par-dessus la muraille qui entourait la maison. Un carré de jardin qui n’avait subi aucun dégât. Comme si le paradis et l’enfer l’avaient épargné. De l'essence dans les véhicules laissés derrière, du papier dans les toilettes, et une bonne heure plus tard, la maison s’embrasait.
Assis dans l’herbe, on l'observait déborder par les vitres coulissantes. La fumée grimpait dans le ciel et les crépitements du feu attiraient les âmes. Comme si la mort leur redonnait goût à la vie. Elles dansaient autour du brasier. Un spectacle qui me rappelait les vacances à la plage, un feu illégal pour nous réchauffer elle et moi.
— Un vrai feu de joie, ricana Kevin, pris sous le bras par Steve.
On se décida à partir avant la fin, de peur qu’une fissure ou un groupe de psychopathes ne viennent nous déloger. On avait encore quatre vœux à exaucer et aucune idée du temps qu’il nous restait à vivre. Tony fut le suivant. Sam s’en plaignit, après tout c’était son idée, mais personne ne l’écouta. En tant que chef de groupe, je choisissais l’ordre de passage.
— Le flic qui traîne tout le temps autour de ton quartier, Nick, nous expliqua Tony, il faut qu’on le retrouve. Ce sale ivrogne de raciste, je vais le tabasser jusqu’à ce qu’il chiale et demande pardon.
Ça c'était mon pote. L’apocalypse l’avait embrouillé et rendu peu bavard, mais à l’intérieur, il restait le même. Un mec bien, gentil, fiable et respectueux, mais qui te cassait les dents si tu l’emmerdais. J’avais fait l’erreur de lui parler avec de très mauvais choix de mots quand je l’avais rencontré et mon corps s’en souvenait encore. C’était un gars sûr à qui je voulais faire plaisir. Malheureusement, de retour sur nos pas, le flic s'était barré de la ville au lieu d’assumer son travail. Il nous faudrait du temps pour le retrouver. On passa donc à Steve, le temps du trajet. Sam continuait de s’en plaindre, mais je le punissais pour avoir tiré sur Kevin.
— Je veux la plus belle bagnole du pays, se marra Steve. Une Tesla modèle S, et neuve !
On fonça vers le célèbre garage qui se situait à une heure de route et Kevin nous lut les nouvelles sur la route.
— C’est pas bon… C’est pas bon… qu’il répétait entre chaque info qui passait.
Dans l’ordre, la fissure dans le ciel, puis le sol, puis les nuages, puis les âmes, et maintenant s’ajoutait le ciel qui ne gardait pas la même teinte plus d’une minute. Les stations spatiales ne répondaient plus et les satellites disparaissaient des radars. Les victimes augmentaient et les corps disparus sous des décombres ou dans les fissures ne pouvaient plus accueillir les âmes qui volaient dans le ciel. Les plantes, les fruits et les légumes mouraient, tandis que les arbres avaient déjà perdu toutes leurs feuilles.
Dans un dernier virage, Steve se rangea devant l’entrée en verre du bâtiment et nous demanda de l’attendre. J’en profitai pour tirer sur la baie vitrée et la briser. Alors qu’on descendait, Kevin gardait son nez sur son smartphone à la recherche d’un maximum d’informations.
— Les animaux aussi. Ils laissent une âme s’échapper de leur cadavre. Si une âme animale entre dans le corps d’un humain, ça devient un bébé et inversement. C’est un déli- MERDE ! s’écria se con à nous en faire sursauter.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Internet a lâché, j’ai plus aucun réseau. Merde ! Fait chier !
Je sortis le mien et vis que l'icône de 4G avait disparu. On était coupés du reste du monde. La nouvelle nous frappa si fort que nos corps se mirent à trembler et plus personne n’osa dire un mot. La réalité nous rattrapait plus vite que prévu.
— YES ! s’écria Steve de l’autre côté des débris en faisant rugir le moteur de sa nouvelle voiture. Voilà de la bagnole qui me mérite ! Hahaha !
Finalement, son rire savait être naturel et franc. Je tapotai sur l’épaule des autres et ils montèrent dans la voiture. Tant que ça lui fait plaisir, je n’avais rien à ajouter.
Il ne restait plus que trois vœux, dont celui de Sam qui hésita.
Lui qui en faisait des tonnes, voilà qu’il a la pétoche…
— Ok. Ok, se décida-t-il enfin à nous parler. Y a cette fille…
— Forcément… souffla Steve en frappant le frein pour nous arrêter en plein milieu de la route. Alors c’est laquelle ? Celle qui t’a dévisagé ? Celle qui t'a ignoré ? Laquelle tu veux buter ? Espèce de taré !
— Ta gueule, Steve ! Vous vous rappelez ces cons qui m’avaient harcelé au collège ? Les membres de l’autre classe.
Forcément… pensai-je en me remémorant l’année où le groupe s’était formé. Forcément, c’est ce jour-là qu’il veut oublier…
Un groupe d'élèves de notre âge qui l’avaient pris pour cible. Un peu enrobé à cause d’une maladie génétique et avec un amour particulier pour les armes ; il n’en fallait pas plus pour qu’il se fasse harceler.
— Tu veux tous les buter ? lui demanda Kevin le fixant du coin de l'œil.
— Non, ils ont déjà payé à l’époque… Mais la conne qui a tout commencé, elle est restée là-bas.
La petite ville où on allait tous au collège.
— Je veux qu’on aille chez elle, qu’il nous demanda avant de faire grincer ses dents. Elle va payer ce qu’elle m’a fait subir…
Kevin se mit à ricaner dans son coin, la tête à nouveau penchée vers la vitre.
— Pas de sexisme dans notre nouvelle vie. Si on peut tabasser un mec, on peut tabasser une femme.
Arrivés devant l’immeuble où habitait la jeune femme et son fiancé, je voulais rester en bas avec la voiture. Tabasser un alcoolique ou un petit con, ça ne me dérangeait pas, mais une future mariée… Même si c’était pour un pote, pour une vengeance qui traînait depuis longtemps, j’aurais préféré ne pas y assister. Qu’en aurait-elle pensé si elle nous voyait ? Tony et Steve défoncèrent la porte sous les cris de surprise du couple. Kevin pointa le mec et moi la fille. Ils faisaient plus jeunes que nous, alors qu’on avait le même âge.
— À terre ! cria Sam en tirant une balle au plafond.
Les cris cessèrent.
On pensait qu’il voulait la tabasser. Qu’est-ce qu’on pouvait être con. Il se mit à la désaper en plein milieu du salon, son arme enfoncée dans ses cheveux. Tony et Kevin tenaient le mec, les yeux rivés sur lui, tandis que Steve guettait l’entrée pour ne pas avoir à mater la scène. J’étais là, planté au milieu, à le regarder salir une fille sans défense qui hurlait et pleurait sous ses engueulades.
J’aurais pu agir différemment. J’aurais pu tirer une balle dans le crâne de son copain pour qu’il n’ait pas à voir cette horreur. J’aurais pu la buter elle, pour abréger ses souffrances. J’aurais pu agir différemment, mais je restai là à le regarder finir dans un cri qui me donnait envie de vomir. Lorsqu’il se releva pour remettre son froc, je fis signe à Tony. Deux coups partirent, une par tête qui composait le couple. Les âmes s'envolèrent à travers le plafond, comme pour nous fuir.
Fait chier ! hurlai-je en sortant de l’appart. Pris d’un sentiment ignoble, je me tournai vers Sam et lui tirai une balle en pleine tête. Pour Kevin.
Ou peut-être pour cette fille… Elle lui ressemblait un peu, il faut dire.
En bas des escaliers, les autres me dévisagèrent, mais comprirent à mon regard. La voiture démarra et on laissa un morceau du passé derrière nous.
L’image resta gravée dans ma tête tout le long du trajet et plus personne n’en reparla. Après des jours, le ciel n’avait pas bougé. Il faisait le même temps qu’à notre départ. Le sol avait dévoré des villes et brûlé des villages. Finalement, on trouva le flic par hasard au bord d’une station essence. Tony descendit de la voiture avec hargne. Il lui tira dans la jambe, puis dans le bras pour qu’il ne chope pas son arme de service. Il lui tira ensuite dans la gorge et enfin dans la tête. Même s’il voulait le tabasser, Tony l’avait achevé en quelques secondes. Sans un mot, il retourna dans la voiture et n’en parla plus. Peut-être avait-il profité de l’instant pour se défouler et oublier la scène de la nuit dernière. Je pouvais comprendre.
Et si on s’en était pris à elle ?
Je ne voulais pas y penser.
— Il ne reste plus que toi, m’avait fait remarquer Steve en arrêtant la voiture.
Je ne voulais rien pour le moment. Juste une envie qui viendrait avec le temps. Je tendis ma main sur la boite à vitesse de la voiture et répondis :
— Je ne veux qu’une chose. Lorsqu’on aura notre ville, je choisirais le nom. Ça marche ?
— Si c’est que ça, se moqua Steve, rejoint par les autres dans sa moquerie.
Toutes nos mains jointes, le pacte était scellé. Notre ancienne vie oubliée laissait place à une nouvelle. Et, malgré le chaos qui nous entourait depuis notre départ, le silence semblait régner en dehors de la voiture. Au final, il nous fallut des années pour nous rendre compte que l’on ne vieillissait plus. Puis des décennies pour construire un village qui pourrait devenir une ville. Tony avait conclu une alliance avec un village proche. Kevin profitait de son statut pour faire passer les hommes et les femmes par sa chambre. Steve s'occupait d’autant de sujets dans la ville qu’il aurait mérité ma place à de nombreuses reprises.
Dire qu’il nous a fallu un siècle pour construire une ville… pensai-je du sommet du bâtiment qui la surplombait. En altitude, je voyais enfin le soleil et la lune, tous deux cachés derrière l’horizon. Entouré d’âmes, je jetai un œil sur notre jardin qui grandissait grâce au génie de l’humanité à conserver les graines dans des sacs.
Je n'ai pas vu le temps passer.
Ce temps figé sur le 12/02/2021 à [22:22]. Alors que je repensais à toutes nos conneries, aux gens rencontrés et à ceux qui nous avaient rejoints. Je laissais mes pieds pendre dans le vide ; pas de vent, comme d’habitude. Je repensais à notre pacte et me décidais enfin à baptiser ma ville. En vrai, après toutes ces années, je n’avais qu’une envie. C’était con, mais peut-être très humain. J’aurais voulu savoir ce qu’elle était devenue. Celle qui m’avait donné la force et le courage de trouver un rêve. Celle qui nous avait aidés à sauver Sam. Celle qui m’avait reconstruit pour mieux me détruire… me trahir et m’oublier.
— Ouais, je pense que je ne trouverai pas un meilleur nom…
Je repensais à elle. Je m'accrochais à une vie que je devais oublier. Pourtant, je voulais la revoir, la pardonner, l’enlacer, l’embrasser et l’aimer. Mais elle n’était plus là. À la place, je me tournais vers l’avenir. Cette ville était ma nouvelle compagne. Je la voyais. Je la protégeais. Je l’aimais.
— New-Héra.
Ma ville. Mon monde. Mon avenir.










Michael B.: https://twitter.com/DjTals
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