LÉGENDE, la revue SFFF - FORUM
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
-45%
Le deal à ne pas rater :
WHIRLPOOL OWFC3C26X – Lave-vaisselle pose libre 14 couverts – ...
339 € 622 €
Voir le deal

Aller en bas
Aramis
Aramis
Admin
Admin
Messages : 78
Date d'inscription : 15/04/2021
Age : 404
https://revuelegende.wordpress.com/

"Mona Lisa" de Simon Brilland Empty "Mona Lisa" de Simon Brilland

Mer 25 Aoû - 16:55
Une douleur commence à irriguer ma tempe  gauche, je me suis vautré de mon hamac. Je me relève en sursaut malgré le mal de crâne pour me précipiter dans mon couchage aérien. Tête la première, je mis love piteusement, me contorsionne pour retrouver une position plus décente. J’observe mes chaussettes en laine, ouf elles ne fumerollent pas. Rassuré, je me détends dans le hamac.
Ma tête me fait souffrir, pas à cause du choc, enfin pas seulement. C’est ma cuite d’hier qui me rappelle moi.
Je pensais que retrouver du vin d'avant la grande brûlure serait une bénédiction. Loin s'en faut, j'ai bu qu'une bouteille mais les dieux savent que je n'ai pas bu de vin depuis mes vingt ans. En plus de ce mal de crâne, ma nuit a été troublée par des cauchemars aux formes des vestiges de ma jeunesse. Ca faisait longtemps que j'y avais pas repensé et le vin m'a rappelé à elle.
 
Des gémissements plaintifs m'atteignent, je me redresse, enfin dans la limite de ce que mon hamac peut supporter. J'enfile mes grolles, mes pompes ignifugées m'attendent en bas du bâtiment. Je range mon barda dans mon havresac. Je retire mon pyjama en laine, l'étoffe me colle à la peau à cause de la sueur que j'ai perdue cette nuit. Je fourre le tout dans un sac hermétique, pour éviter que l'eau ne s'évapore. Elle est trop précieuse pour la gâcher inutilement. J'enfile prestement ma combi de marche légère, comme mes pompes, la combinaison ignifugée de marche m'attend en bas. Plus qu'à enfiler ma cagoule, mon harponneur et le sac. Je m'accorde une petite gorgée d'eau qui me procure un plaisir qu’après avoir lacérée ma gorge sèche comme une éponge trop sèche qui se refuse au liquide qu'elle doit absorber. Quatorze kilos sur les épaules, j'espère que mes genoux vont tenir. Faut encore que je passe harnacher mon butin, enfiler ma vraie combinaison anti-brûlure et les chaussures qui vont avec. Et en avant dans les landes desséchées pour rejoindre Troarn et vendre ma cargaison une petite fortune !
 
Cinquante-sept bouteilles de vin rouge plus ou moins bien conservées, même les bouchonnées vont s'arracher comme des petits pains. Faut juste que je charge mon traîneau et que je me carapate.
 
Des gémissements plaintifs se réverbèrent dans la rue entre les bâtiments de sorte qu'on ne pouvait savoir si la source était multiple ou si mon crâne accuse encore le coup, créant une illusion auditive.
Là je percute, je reste une minute, le harponneur sous le bras et le sac sur le dos. J'observe l'extérieur depuis l'une des fenêtres. Ils sont de sortie, les Bougies arpentent les rues de façon nonchalante. Là où d’habitude, ils creusent sous leurs chaleurs des trous et tranchés à sec, c’est une masse de vapeur qui s'échappe de la terre humide. Cela explique ma sueur de ce matin, leurs corps immolés réchauffent l'atmosphère, qui n'en avait pas besoin. Je suis pas un ravioli grand ciel !
Mais au final, je peste contre moi-même, car j’aurais dû plier les voiles au petit matin, pour profiter de la fraîcheur des récentes pluies et pas larver dans mon hamac.
Une déflagration se fait sentir au loin, une Bougie a dû pénétrer un point d’eau. Sous la chaleur de son corps, elle s’est vaporisée violemment. Cela me tire de ma turpitude, embrumé par mon mal de tête et les relents d’alcool qui remonte ma trachée.
 
—    Cela peut encore le faire, il ne doit pas être plus de neuf heures, si je pars maintenant, je peux profiter d’encore un peu de fraîcheur, me dis-je tout en mordillant ma langue pâteuse.
 
Je sors de l’appartement où j’ai dormi, celui-là même où j’ai trouvé la “cave” de vin. Une excentricité de riche exigée lors de la construction de cet immeuble en pierre, prouesse technique d’avant la grande brûlure, avant que la chaleur étouffe les riches et ne laisse que les plus débrouillards et résistants survivent. Je dévale les cinq étages comme je peux. Plus je me rapproche du sol, moins je vais vite, alors que je descendais en tenant les murs de l’escalier en colimaçon je lâche maintenant une patte pour agripper mon harponneur, la moufle que je porte se glisse parfaitement dans l’actionneur. La chaleur augmente évidemment au fur et à mesure que je me rapproche du sol, je crève de chaud sous ma combinaison, vivement que je rallie ma tenue ignifugée et mes griffes en céramique. J’ai l’impression de ramollir, la semelle de roche de mes pompes doivent commencer à se liquéfier.
J’arrive au premier étage, je me fige, j’entraperçois une Bougie divaguant dans un appartement ravagé, elle m’ignore et je compte bien faire de même. Je m'apprête à continuer ma descente quand un bruit secoue la pièce. Comme moi, la Bougie capte l’origine de la vibration. Une gamine, pas plus de dix ans, a fait tomber des objets de cuisine en cuivre. La Bougie louve vers la petiote. Pendant un instant, je me remémore le magot qui m’attend en bas. Alors une douleur vive me prend la cervelle, un souvenir lointain, une fillette en pleure se faisant happer.
 
Je suis une Cloche mais ce n'est pas une raison, j’épaule mon harponneur plus guidé par l’habitude du métier que par ma concentration actuelle. Un vertige me prend en appuyant sur la gâchette. Le harpon métallique traverse la pièce avant de transpercer le reste du visage rongé de la Bougie. Tout comme elle je me vautre. La tête vers le bas des escaliers j’ai pas dégringolé les marches comme un guignol. Je me prends ma pochette thoracique de harpon dans la goule. L’un d’eux déforme ma visière, rien de grave, pas de fuite. Je me relève difficilement, pas tellement les effets de l’alcool mais plus ma tenue qui me pèse. J’ai l’air fino, je vous dit pas.
Je me fige en me relevant, j’ai pas vu si la Bougie avait claquée. Ouf, une colonne de fumée s'élève au-dessus du corps du monstre. De tous ses pores, elle relâche sa surréaliste quantité de chaleur interne. Seule sa bouche ne relargue rien, pour sûr, elle n’en a plus. De ce que j’en vois en m’approchant du cadavre, mon harpon a traversé un amas de chair disparate, la bouche et le nez laissant place à des os grignotés.
 
J’observe le reste de son corps humanoïde ravagé par le feu, qui ne l’a pas consumé mais à fait lentement fondre sa chair. Mon échine est parcourue par un frisson à la vue de la chair  disparue comme grignotée par une horde de petite larve. Je déloge mon harpon de la pierre où il s’est encastré avant de retendre la corde de mon arme à l’aide d’une manivelle. Je lève ma pochette à harpon pour en prélever une munition. Je recharge mon arme pendant que la réserve percute mollement mon ventre. Mauvaise idée, une douleur foudroie mon foie qui n’avait pas besoin de ça.
En me pliant de douleur, je me tourne pour faire passer la douleur. Technique plus psychologique que réellement efficace, mais c’est soit ça soit hurler comme un damné. Dans ce mouvement, je vois la fillette que j’avais totalement zappé.
La gamine est blonde au visage basané, pour sûr c’est bien une fille du feu. Elle me regarde l'air pénaux. Que fait-elle ici ? Loin des dernières villes ? Elle vit seule ? Au vu de sa carrure chétive, ça à tout l’air. Je me relève, un tintement de verre se fait entendre quand je dépose mon havresac remplie à ras bord. Je rejette mon harponneur derrière mon épaule avant de présenter mes paumes ouvertes en signe pacifique à la fillette. Je ne peux pas la laisser là à la mercie des Bougies et de la chaleur. Je vais la ramener à ses parents si elle en a. Sinon, j’ai qu’une combie lourde mais celle que je porte actuellement devrait lui suffire. Elle doit mieux accuser la chaleur que moi. Je peux la ramener à Troarn en sécurité.
Mais elle détale, survolant la rue sur une passerelle de fortune, deux morceaux de bois quoi, fende la rue entre les immeubles de pierre. Je trépigne et veux me barrer mais elle m'intrigue.
—    Bordel, maugrée-je.
Je me jette à sa suite, porté telle une feuille sur le courant du destin.
 
La gamine s'avance sur les planches, elle est déjà au milieu de la rue et continue son avancée. Elle a traversée le pont branlant en se penchant vers l'arrière, bascule et se rattrape sur ses mains, se maintient sur elles quelques instants avant d'enchaîner des saltos sur toute la longueur. Les planches crispent sous ses galipettes. Je ne sais pas pourquoi elle n’a pas juste courue, je ne m’explique encore moins mon envie irrépréssive de l'applaudir. Elle me rappelle les troubadours de l'ancien temps.
Je m'immisce sur les planches avec beaucoup moins d’aisance. Je ne vais pas faire de cabriole. Je jette un coup d'œil en bas, à travers ma visière fumée une Bougie est tellement restée sur place, qu'un trou s'est formé sous elle. Leurs plaintes se multiplient dans la rue. Une autre est tombée à genoux, ses mains sur son visage, on dirait qu'elle essaye de toucher ses pommettes qui sont déjà parties en fumée. J'arrache ma vision de son corps incomplet sous son châle de flammes. Je continu quelques pas, les planches émettent un grondement, comme mes colocs quand je leur marche dessus avant de partir travailler. Je me dépêche. J’ai oublié de vérifier que les bouteilles de mon sac ne se sont pas brisées lors de ma chute. Sans plus m’étaler sur mon manquement. Je rejoins l'autre côté, des gouttes de sueur nappent mon visage avant de couler assez pour rejoindre les récupérateurs d'eau de mon casque. Je n'ai pas le vertige mais traverser un pont pour moi est toujours une épreuve.
 
Je regarde la pièce où je suis arrivé, personne. La gamine a déjà détalée, bordel. Va falloir que je retraverse le morceau de bois qui sert de pont. J’ai tellement pas envie. Je reprends mon souffle pour gérer mon stress. Pour cela je fais les cent pas dans la pièce pour me cacher du soleil et me cacher des Bougies.
Des bruits de pas clapotent pas loin, c’est peut-être la fille. Elle doit tâter le terrain, voir comment je vais la manger. Bon aller, je vais la chercher doucement dans la maison ; c’était la base de mon plan. Non et puis j’ai vraiment pas envie de revoir ce pont.
 
Je sors de la pièce ouverte pour accéder à une série de couloirs, c’est pas le mieux pour survivre dans la ville. J’avance tout doucement, vu la ferraille que je trimballe sur le dos, c’est un peu ridicule. Mais tellement moins quand me démarchant comme un ours jouant dans une fanfare.
Elle sait que je suis là, elle s’est relevée, je l’entends. Je passe ma tête dans l’encadrement de la pièce. Sans grandement fureter, je la vois derrière une table en bois complètement sec. Elle me regarde avec ses petits yeux plissés à peine ouverts.
 
Je m’approche tout doucement, elle ne fuit pas, elle me jauge. Je m'agenouille, réagençant mon harponneur. Je desserre mon casque, un air triste se peint sur son visage; c’est une première. Elle a l'air déçue par le mien, je ne suis pourtant pas moche, en tout cas d'après mes proches et de ce que j'ai vu de mon reflet dans un verre polie.
—    C'est quoi ton nom ?
Aucune réponse, je lui prend sa main. A peine je l’ai fait, elle veut déloger sa main de la mienne. Je me rends compte que mettre genou à terre n’était pas une bonne idée, je me redresse à cause de la chaleur qui pourrait contrarier mon équipement. Je reste à sa hauteur en gardant les deux pied-à-terre, mes genoux et mon dos courbés. Je retire mes épais gants pour la rassurer un peu plus.
—    Ne t'inquiète pas je ne veux pas t'faire de mal. Mon équipement est de l'autre côté. Il faut le rejoindre avant que la température soit trop forte. Tu comprends ?
Elle me fait oui de la tête, mais veut toujours se déloger sa main de mon étreinte. Je lui concède même si ça me rassure guère.
Elle gesticule, ouvre la bouche mais seul un râle minime en sort. Je la regarde éberlué, elle reprend ses signes.
—    Ô terre ! Elle ne peut parler ! Crie-je intérieurement.
Elle place sa main tendue sous son menton avant de la pousser vers moi avec un sourire. Elle marque une pause, puis enchaîne quatre signes : fermant tous ses doigts sauf son pouce et index, un L apparaît suivi d'un I formé par son auriculaire. Après j'ai plus de mal, elle referme sa main en un poing puis délasse son pouce vers le ciel. Enfin elle se pointe du doigt.
—    C'est ton nom ?
Elle me fait oui de la tête tout en tapant doucement mais rapidement de ses deux mains.
—    Alors, cela doit être un L puis un I ? Hasarde-je.
Elle me oui de la tête. Mais après je ne sais pas… ses deux derniers signes ne m'évoquent aucune lettre en particulier. Seule la réflexion me permet de sortir de ce casse-tête. Un prénom en quatre lettres commençant par li, il n'y en a pas des tonnes.
—    Tu as une autre voyelle dans ton prénom. Elle me sourit, je chauffe, c'est un e ? Son sourire décroît, un a ? Il réapparaît. Okay fait moi signe si je le trouve. Liah ? Liha ? Liat ? Lida ? Lisa ?
Elle saute en l'air, je me redresse pour rester à sa hauteur.
—    Bien Lisa, souris ai-je en retour, moi c'est Danijel, tu peux m'appeler dany.
Une fois les présentations faites, je voulais enchaîner sur d’autres questions. Mais elle me prend de cours, elle glisse sa main dans la mienne comme signe de confiance et me tire vers la sortie.
Le contact de sa main me fait un effet bizarre, j'ai peur de passer à travers tellement elle est fine ; depuis combien de temps je n’avais eu de contact avec un enfant. Heureusement ma réflexion est coupée par l’action, je saisis sa main et sens son contact à travers mon gant, ma patte enserrant sa petite main. Ce contact fait retomber mon rythme cardiaque.
Elle me sourit, avant de continuer son chemin je la suis à travers les salles exiguës en pierre des immeubles, je sue, je sue tellement, pas à cause de l'effort ou de la chaleur même si la température monte crescendo en même temps que le temps file, un bon quarante trois degré au jugé. Non c'est de bouger rapidement dans ces bâtiments qui me fait stresser, des Bougies pourraient nous surprendre à tout moment. Je flippe et serre le cul.
On ne peut pas continuer comme ça. Je presse sur la main de la fillette, délicatement j'ai peur de la briser. Elle s'arrête.
—    Calme toi Lisa, il faut faire attention aux Bougies.
Elle baisse la tête et rougit, enfin je pense.
—    Ou tu veux m'emmener ? Mon équipement est de l'autre côté, si on veut partir. Tu veux aller rejoindre quelqu'un ?
Je suis estomaqué de sa seule réponse, elle se mit à pleurer, d'abord doucement puis à chaud de larme, heureusement sans produire de bruit à part des reniflements de son nez rond.
—    Oh ne pleure pas petite loutre, l'eau est trop précieuse pour la gâcher en pleurant.
J'appuie sur son épaule tout en parlant, elle se défausse de ma main avant de plonger dans mes bras. Je l'étreins délicatement. Elle se calme.
—    Allez je te suis jusque-là où tu veux me guider mais après on devra partir d'accord ?
Ses larmes se sont déjà évaporées, elle me fait oui de la tête je remet mon casque, reprend sa paume et nous nous mettons en branle.
Elle m'entraîne dans un dédale de petite salle blanche dont les murs sont plutôt richement décorés avec entre autres les blasons taillés des anciens propriétaires.
On déboule dans un couloir ouvert sur une cour intérieure d'un ancien hôtel particulier. Je lève les yeux vers le ciel pour avoir une indication de l'heure, presque midi… on devra attendre plusieurs heures avant de partir pour éviter le pic de température. Je peux résister aux cinquante degrés des terres desséchées mais pas la gamine malgré son sang et ma combie légère.
Plongé dans mes pensées, je la percute. Elle se baisse, je fais de même. Elle a répété avant moi la Bougie qui sort de l'autre côté de la cour. La créature, marche d'un pas traînant avant de se les prendrent et de s'étaler sur le sol du couloir en face de nous. Lisa passe derrière moi mais je la retiens pour la rediriger derrière moi. Je tire dans le crâne de la Bougie qui me fait face. Le harpon y reste pendant que le monstre s'évapore. Je réarme mon harponneur puis le porte à mon épaule prêt à enchaîner si une autre de ces saloperies déboulent. Heureusement, “aucune autre” ne traîne dans les parages, je peux aller retirer du corps de chiffon de la Bougie mon harpon. Il commence à fumer quand on quitte le couloir.
 
Notre route reprise, on traverse encore quelques salles avant de traverser une nouvelle rue sur un même pont de planches. Le soleil me cueille, entre lui et le sol je me sens comme un morceau de bidoche que l'on grille. Lisa arrive de l'autre côté en première encore, son visage me paraît flou sous mon casque, ses cheveux se ternissent, j'ai comme l'impression qu'elle m'appelle alors qu'elle est muette sans compter la présence derrière elle. Par habitude je saisis mon arme, sauf que la silhouette disparaît comme une image rémanente qui part quand on ouvre les yeux. Je retrouve mon calme et atteins la nouvelle série de bâtiment.
 
Là où je débouche n'a rien à voir avec les précédents lieux. Certes c'est un énième hôtel particulier en pierre, la seule matière qui a pu supporter la chaleur lors de la grande brûlure. Celui-ci est décoré d'objets dispersés partout, des pièces mécaniques à des toiles de coton en passant par du cuir tanné. Lisa me guide jusqu'à une pièce exiguë, des schémas striant tous les murs, un inachevé est plaqué contre un établi, je ne comprends pas bien ce qu'il représente.Je jette un coup d'œil dans la cour via la seule ouverture de l'atelier. Un immense tas de laine occupe le sol sur plusieurs longueurs, tel un matelas géant. Des morceaux de cette laine sortent par tas via une gouttière.
Je ramène ma tête dans l'atelier, un tableau en cours de réalisation est posé sur un chevalet. C'est Lisa ! Assise, avec une campagne de l'ancien temps en arrière-plan, sa chevelure blonde retenue avec une sorte de voile diaphane qui retombé sur un habit d'avant la grande brûlure, une robe verte de bourgeois. Seule sa bouche est incomplète, là où un sourire devrait lui barrer le visage. Je me tourne et vois Lisa gêné face à son image.
—    C'est chez toi Lisa ? C'est toi qui as fait ça ?
—    Elle alterne oui et non de sa tête.
—    Ton père ?
Elle me fixe de ses yeux malachite avant que ses joues soient creusées par ses larmes. L'eau s'évapore rapidement ne laissant qu'une traînée de sel. Si visible sur son visage basané et tellement en contraste avec son visage d'avant. Je l'enserre dans mes bras rembourrés.
Après un long instant je me relève, à côté du tableau en face de l'entrée une porte perce le mur. Elle est ferme et aucune poignée ne la sie. Lisa rampe sous un atelier et la porte se déverrouille révélant une pièce entièrement vide mais couverte de cette laine blanche. Je pénètre dans l'enceinte et quelque chose de bizarre se révèle à moi.
Un râle sort du couloir en dehors de l'atelier je me fige et commence à saisir mon harponneur. Mais la porte se referme sur moi alors que Lisa se jette en dehors de l'atelier. Le temps que je range mon arme, la porte finit son mouvement.
 
Le son me manque, il a disparu, le bruit de la Bougie oui mais tous les autres aussi. Mes hurlements sont étouffés par cette laine, mes coups contre la porte ou les murs n'arrachent aucun son, même pas un bruissement. Le temps s'écoule, cela doit faire quelques minutes que je suis dans cette pièce anti-bruit mais j'ai l'impression que chaque minute vaut une heure. Mon cerveau devient fou sans stimulation auditive, j'entends l'écoulement de sang dans ma tête, j'ai failli m'évanouir à cause de la sur-audition que met en place ma tête. J'ai retiré tout mon équipement, étrangement la pièce est assez fraîche, pas plus de vingt degrés.
Je tire sur cet ennemi laineux, mon harpon a à peine effleuré le mur alors qui transperce une Bougie comme du beurre. En le retirant, j'arrache un peu de cette laine, elle me râpe la peau, surpris je panique un peu et lâche les deux objets. Mon carreau s'écrase sur le sol avant de rebondir mollement telle une balle de cuir. Je le ramasse mais observe à bonne distance cette "laine", elle est aussi coupante que du verre.
 
Après mes esclandres vient une période d'inaction, je me repose sur ce sol au final assez moelleux. Le visage de Lisa apparaît devant moi, pas sur le plafond mais plus en filigrane directement sur ma rétine.
Pourquoi a-t-elle fait ça ? Elle sait que je pouvais tuer cette Bougie alors pourquoi m'enfermait ? Elle ne peut pas savoir pour ma fille, je viens juste de m'en rappeler, j'aurais dû emporter une bouteille de vin pour réoublier. Je suis seul sans occupation à part rouvrir cette plaie qui ne s'est jamais vraiment cicatrisée.
 
Je me suis évanoui finalement, mon cerveau accuse le coup. Je n'ai plus de notion du temps, ni du son, heureusement que le touché est encore là sinon je deviendrai fou à lier.
Je pleure, les larmes coulent, trempant ma nuque, elle ne part pas de cette cage.
—    Eléanore, je suis désolé, je, je, j …
Les larmes reviennent, ce jour il y a seize ans, quelques jours après la grande brûlure quand le sol devint ce brasier ardent et qu'on a du Vesna et ma petite Eléa... allait se réfugier dans les montagnes vers l'air frais. Cette crevasse que je n'ai pas pu traverser, cela me sauva la vie quand elles furent emportées. Je revois de temps en temps son visage m'appelant à l'aide du haut de ses huit ans. Je regrette tellement, j'aurais pu faire quelque chose avec mon harpon mais j'ai pas bougé. Vesna me trouvait débile de l’avoir emporté du bateau, d'ailleurs elle me disait pourquoi on prend pas le bateau au lieu d'aller en hauteur.
—    Les mers ont disparu Vesna, ce ne sont plus que des lacs alors que moi je suis toujours vivant et toi alors !
J'ai aucun regret que tu sois parti, seul des reproches sortais de ta bouche.
Mais la petite non, elle a pas eu une enfance facile mais elle méritait que je la sauve. J'ai jamais pu avoir de gosse après, je me suis mis en couple qu'avec des infertiles depuis. Une nouvelle quinte de pleurs s'échappe de ma gorge.
 
Le jour perce dans l'entrebaillure, j'épaule mon harponneur mais le rabaisse immédiatement. Une bouffée de chaleur m'envahit, je me jette sur Lisa, elle me rend mon contact, une deuxième bouffée de chaleur me cueille. De celle qu'on accepte volontiers.
Elle me montre la sortie, je me rhabille et la suis à l'extérieur, je farfouille l'atelier à la recherche de tube en cuir. J'en trouve plusieurs ou j'y fourre les différents plans et le tableau de Lisa. Ces plans et les morceaux de laine que j'ai arrachée vont me rendre riche auprès des lettrés de Troarn, le tableau c'est que pour ma pomme.
Lisa ne dit rien, elle trépigne un peu. Elle doit s'en vouloir de m'avoir enfermé. Enfermé j'ai eu le temps de prévoir mes actions lors de ma sortie. D'ailleurs quelle heure est-il ? Je sors de l'atelier pour visualiser le soleil a travers les fenêtres extérieures, il décroît, parfait on va pouvoir partir.
Elle me guide vers le toit, je passe devant une ouverture, d'où une bouffée étouffante m'ébranle malgré ma protection. Par curiosité je rentre dedans, une fournaise travaille, une odeur de roche me prend le nez.
 
J'arrive finalement sur le toit, il n’y avait pas d’autre étage de c'est mort que celui dont j’ai chuté. Les poumons à vif, à deux doigts de m'être fait tanner le cuire. La cuve de l’étage du dessous débouche bien ici, un immense cercle noir balaye les contours d'un couvercle en cuivre. Lisa essaye de me retenir mais je veux voir dedans. Des câbles relient le couvercle de la cuve à une grue en bois gonflée. J'actionne la grue qui soulève doucement l'un des côtés du couvercle dans un craquement. Je m'approche, tout en passant au-dessus d'une longue tige de métal. Je me penche, les godasses accrochées au sol poussiéreux. Un cube rempli d'eau ! Des corps flottent dedans, des Bougies !
Mon cerveau carbure, l'explosion de ce matin, la gamine qui m'enferme avant d'attirer une Bougie ici. Elle l'a emmenée ici, pourquoi faire ?
Immergées dans l'eau, les Bougies ne s'évaporent pas mais explosent violemment. Réfléchis-je.
—    Lisa ma douce ?
La petite fille rapatriée son visage vers moi, elle était en train d'épier les rues à la recherche de quelque chose.
—    Tu as conduit ces Bougies ici ?
—    Oui, me signe-t-elle.
—    Pourquoi faire, pour les tuer ?
Elle bascule sa tête de gauche à droite, pas vraiment de ce je comprends.
—    Okay, ça les tuent mais ce n'est pas le but, hum, ce n'est pas pour créer des explosions mais pour la résultante ?
—    Oui, clape t'elle.
Cela crée de la vapeur, qui doit actionner le fourneau. J'ai déjà vu cela dans une mine de Kalgeburg. Faut qu’on rentre, pour profiter de la faible trace d'humidité qui reste dans l'atmosphère.
—    Où voulais-tu m'emmener Lisa ?
Elle me pointe du doigt un poteau métallique du côté de la rue.
—    Une tyrolienne ? Habile, c'est comme ça qu'elle bouge en plus des ponts branlants.
Lisa enfile sous les aisselles une sangle de cuir et m'en tend une autre, je me baisse pour qu'elle me l'attache. Elle se pointe du doigt.
—    Je te suis Lisa t'inquiète pas ma loutre.
Elle me sourit, j'ai l'impression qu'une de ses dents de lait va se déchausser. Elle place sa poulie sur le câble et se lance dans le vide. Dois-je avouer que vu mon poids je ne suis guère rassuré.
Au bout d'un moment, je m'y jette aussi, je file, le vent me cingle, ma combinaison absorbe tout mais j'en sens qu'en même la sensation au creux de mon être. Je passe au-dessus des rues que les Bougies égayent. Je traverse une ouverture dans l'immeuble où j'ai nuitée, mes pieds raclent le sol avant que je me réceptionne maladroitement sur le sol.
         Je suis à quatre pattes, toujours nauséeux, je lève ma tête vers Lisa ; on dirait un ruminant je vous jure. N’empêche que la gamine me regarde, sourit, quelques dents dépareillent sa bouche ce qui rajoute une touche mignonnerie à son visage. Mon flanc me fait souffrir mais un hoquet de Lisa avec le bruit d'une Bougie me remet sur pied. J'enlève même ma sangle de cuir, la poulie traînant à mes pattes.
Une Bougie fait face à Lisa, elle toute jeune, sa peau est encore rigide, sa bouche et son nez sont encore présents, seuls ses yeux ont éclatés. Il a une tête presque humaine si on passe outre les faibles flammes qui l'englobe.
Lisa lève les bras, un visage de marbre se peint sur ses traits, elle ne détaille pas ! Le monstre lui s'avance rapidement vers elle, porté par ses jambes encore quasiment intactes.
Je tire et recharge sans regarder si la créature est morte.
Relevant la tête, je vois Lisa se jeter sur le corps de la Bougie. Je cours vers elle et la tire pour la protéger, elle se débat et pleure à chaud de larmes alors que la Bougie fume. Pourquoi agit-elle comme cela ?
—    Pa...pa lâche-t-elle en formant un son avec ses lèvres avec un faible courant d'air sortant de sa bouche.
Elle a beau être aphone je comprends, et pleure avec elle tout en glissant à son oreille.
—    Je sais ce que tu ressens mais la vie continue, en m'autopersuadant par la même.
 
On reste là un moment chacun dans les bras de l'autre. Je sais pas trop quoi dire, je la connais pas, après tout ce qu’il s’est passé aujourd’hui je sais même pas si je me connais moi même. Tout ce que j’arrive à bafouiller c’est une justification bateau.
—    Je suis une cloche Lisa, je ne pouvais le laisser vivre, je suis désolé.
 
Après un autre temps, mon instinct reprend le dessus, faut qu’on bouge.
—    On ne peut pas rester ici, viens avec moi, je t’oblige pas mais piété ne reste pas seul ici.
 Elle renifle et me oui de la tête faiblement.
 
On descend sans encombre jusqu'au rez-de-chausser, la chaleur y est puissante, elle monte de la terre.
—    Écoute moi Lisa, je vais t'habiller pour que l’on puisse survivre dehors, je sais que tu comprends. Fait bien attention à ce que je vais faire, si tu sens qu’une zone de ton corps n’est pas bien protéger, tu me le dis direct.
Elle s'arrête de bouger, un visage de concentration a pris le pas sur son visage triste. Le temps se fige, ses traits ont beau afficher un jeune âge, certaines rides tapissent son visage preuves de nombreuses épreuves de la vie ; elle pourra surmonter tout ça. J'équipe la gamine comme je peux, vérifiant les joints de la combinaison que je lui ai prêté, sa visière aussi mais surtout ses récupérateurs d’eau. Je lui ai un peu menti, c’est moi qui ai vérifié le tout, mais je voulais qu’elle pense à autre chose quelques instants au moins.
Une fois que j’ai fini, je lui fais signe de ma main pour être sûr qu'elle est prête. Elle reprend ses esprits et forme un okay avec des doigts fins.
 
Je souris sous ma visière et la hisse sur mon dos dans mon grand havresac réaménagé pour son transport. Le chargement de vin et de plan est bien sanglé dans mon traîneau, mes sacoches pesant sur mes flancs. J’enfile les lanières de mes bâtons de marche, le harponneur toujours paraît sur mon épaule, je chausse pour finir mes griffes de céramique pour éviter tout contact entre moi et le sol ardent.
Je m'élance dehors, ma trousse à harpon ventrale tinte contre ma combinaison. Le soleil va bientôt se coucher, la température devrait être supportable, pas plus de vingt degrés.
J’ai un pas préssant, je veux mettre le plus de distance entre nous et la cité abandonnée. Dans la pénombre qui s’installe, elle se dessine aux lueurs des Bougies qui la parsèment. Les landes desséchées seront, je l’espère, vide de ces monstres. Moi et Lisa avons quelques kilomètres a tracés avant d'atteindre le premier refuge, Troarn est elle à plusieurs dizaines de kilomètres. Je lève mon bâton droit sanglé à mes poignets pour faire un signe à Lisa, elle me répond en tapotant sur mon casque. Je souris encore une fois derrière ma visière, cela fait une éternité que je n’avais pas de but sur cette terre.
 
Moi et elle, je ne sais pas ce que l’on va devenir, ce que je ressens actuellement c’est une allégresse à nous balader dans les landes desséchées. Je profite de l’instant. Comme quoi rien n'est perdu à jamais, il suffit d'attendre pour le retrouver. Même la joie de vivre.





Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum